Pour démarrer ces réflexions sur l'holacratie, la sociocratie, et ces nouvelles formes d'organisations, nous vous proposons de nous interroger sur le succès incontestable, en tout cas l'appétence qu'elles suscitent. Si l’holacratie a le vent en poupe, c’est parce qu’elle est une réponse opérationnelle qui tombe à pic pour résoudre des problématiques courantes de nos organisations. Voici les cinq premières qui nous sont venues à l’esprit : l’holacratie pourquoi on en parle ?
Parce que le flou autour des rôles et responsabilités est à l’origine de nombreuses tensions dans une organisation. L’holacratie est une réponse.
De nos jours, les organisations sont embourbées dans le monde concurrentiel, changeant. Elles ont donc besoin de donner de l'autonomie et des responsabilités à leurs employés afin qu'ils délivrent vite et mieux.
Le seul moyen, bien souvent, d'en arriver là, c'est de renverser l'ancien paradigme managérial dont notre culture est friande : "je suis le chef donc je commande", par "je suis le chef donc je clarifie et j'aide pour laisser faire". Le "laisser-faire" étant le talisman vers plus d'autonomie, de réactivité, d'innovation, d'implication. Mais "laisser faire" ce n'est pas "faire n'importe quoi". Pour gagner cette autonomie, cette liberté, qui va impliquer, engager, transformer, il est conseillé de drastiquement clarifier la destination, la cible, et le cadre. Qu'est-ce que l'on veut ? Pourquoi ? Et quelles sont les règles pour y parvenir ? Qu'est-ce qui est autorisé ? Qu'est-ce qui ne l'est pas ? Quelle est ma juridiction ? Qu'est-ce qui ne l'est pas ?
En holacratie, ceci est pleinement exprimé par la raison d'être et le domaine (le périmètre) de chaque entité, leurs redevabilités (ce qu'elles doivent), et la manière de les suivre (leurs métriques et leurs checklist, régulièrement consolidées). Dans ce cadre, chacun peut prendre l'espace dont il a besoin pour avancer au mieux vers la destination. L'autorisation est explicite dans le cadre. Cela n'exclut pas le contrôle. Mais cela ne cristallise pas la réponse dans un geste précis, et offre une multitude de possibilités. La réponse devient relative, dynamique, et non plus absolue.
En holacratie, on peut aussi définir des rôles qui répondent eux aussi à des raisons d'êtres, des domaines, des redevabilités. Et là aussi, il y a encore autorisation. Car on ne cherche pas à décrire l'exhaustivité d'un rôle mais plus un contour sur lequel on est tous d'accord. Et ce contour peut évoluer en fonction des besoins, des réalités du terrain. Du moment qu'il est clarifié, il libère un espace pour tous.
Observons Myriam, la définition de son poste est un peu floue. Dans la vraie vie elle est au four et au moulin, elle éteint des feux comme elle le dit à ses amis. L'équipe avec laquelle elle travaille la pense indispensable. Pour elle c'est un poids, et elle imagine que cela fonctionnerait mieux si elle intervenait en appui, dans les situations compliquées, plutôt que constamment en avance de phase. La valeur apportée, et ses compétences seraient bien mieux exploitées si elle était plus focalisée sur des sujets pointus autres et qu'elle laissait l'équipe administrer elle-même le quotidien. Mais si on interroge son équipe ce n'est pas du tout l'idée qu'ils s'en font. Au quotidien ce décalage génère de nombreuses tensions.
Cette situation vous semble familière ?
On pourrait aussi imaginer que Myriam parte en congé maternité et que pour des soucis de santé, elle n’ait que quelques jours pour former son remplaçant : Marc. Mais alors comment expliquer à Marc son périmètre d’action ? Myriam commencerait par lui décrire sa fiche de poste ? Ou bien le rôle qu’elle souhaiterait jouer ? Ou encore le rôle qu’elle vit vraiment au quotidien ? Qu’est ce que Marc va comprendre ou mettre en œuvre ?
En holacratie, le cadre est défini : raison d’être, domaines et redevabilités. Dans ce contexte, le premier jour de l'arrivée de Marc, Myriam pourrait évoquer simplement les raisons d'être, les domaines, les redevabilités, les métriques, les checklist des entités avec lesquelles Myriam travaille. Elle pourrait décrire ses rôles, avec là aussi raisons d'être, domaines, redevabilités. Pas de tension avec l'équipe, car les rôles sont bien définis. Un soulagement pour Marc qui connaît son périmètre, le sens et les attentes associées avec beaucoup de clarté. Une source d'engagement pour Marc qui peut rester lui-même et faire sa propre lecture de son activité tant qu'il répond au cadre : raison d’être, domaines, redevabilités et aux mesures associées, il n'a pas à répéter mécaniquement (et peut être mal) les gestes de Myriam.
Parce que l’on a compris que payer très cher un cabinet de conseil qui, après un audit poussé, nous propose l’organisation qui va bien... Cela ne marche pas.
Une organisation émergente et évolutive est plus adaptée qu’une solution imposée par des personnes hors de l’organisation. C'est aussi la réponse de l'holacratie.
Dans notre monde complexe, les plans, les anticipations, les définitions prédéfinies, apparaissent rapidement obsolètes et caduques.
C'est aussi vrai pour les formes de votre organisation, elles auront besoin de changer. Les principes de l’holacratie intègrent cette réalité : il n'y a pas de réponse prédéfinie, bonne ou mauvaise, mais un fonctionnement qui permet de constamment s’adapter, tester, réajuster.
Une organisation ne se résume pas à un organigramme, des fiches de postes, des processus. C’est une multitude d’actions, de relations, de détails qui vont évoluer au fil des événements.
Myriam et Marc sont dans l'opérationnel. C’est eux qui “font”, qui sont confrontés à ces changements. Ils sont les mieux placés pour savoir comment les aborder.
Myriam rencontre une nouvelle difficulté à l’aube de son départ. Elle voudrait que Marc ait les accès aux différents outils qu’elle utilise. Mais elle n’a pas le temps. Et chaque outil semble avoir son propre processus d’habilitation. Lors d’une réunion, elle aborde cette tension et propose la création d’un rôle “responsable outillage”. On écrit une seule redevabilité pour ce rôle : lister les outils de l’équipe dans le wiki et les modes d’habilitation pour chacun. Pour le reste, on verra plus tard. Stéphanie se propose de prendre le rôle pour démarrer. Elle passera probablement le relais dans quelques mois si elle le souhaite. Myriam est soulagée. Elle se dit que Marc saura à qui s’adresser. Le rôle évoluera probablement au fil des difficultées rencontrées. Ainsi que son porteur. Peu importe. Du moment que c’est clarifié.
Enfin, nous pensons que si les modèles pensés par des cabinets extérieurs ne marchent pas, l’holacratie, comme modèle imposé ne marchera pas non plus. Prenons l’exemple de Zappos, qui impose l'holacratie à ses employés. La forme est rejetée, peu importe le fond, l'imposition échoue. N’oublions pas une règle souvent ignorée d'une bonne conduite du changement : l’invitation. Ne démarrez pas avec de grands plans mais proposez des grands principes, un cadre plutôt que des gestes trop précis.
Parce que l’on a compris que les équipes auto-organisées sont plus aptes à résoudre des problèmes complexes, à innover, à être productives.
Mais que concrètement on ne sait pas comment encourager ce mode de fonctionnement. L’holacratie apporte une réponse.
Avec l'acceptation d'une évolution continue, l'autre point clé de l'holacratie c'est sa velléité à déporter le pouvoir (dans des cercles : des groupes, des entités).
Aujourd’hui pour répondre aux défis de notre temps, les équipes se doivent d’être pluridisciplinaires et autonomes. C’est la bascule de notre paradigme managérial moderne : ne plus diriger, contrôler, imposer, mais cultiver un cadre et une destination et laisser les équipes pluridisciplinaires et autonomes s’épanouir en son sein pour favoriser productivité, innovation.
Autonomes pour avoir la capacité à délivrer rapidement sans être freiné par un facteur externe. Pluridisciplinaires pour avoir la capacité à délivrer quelque chose qui fasse sens par lui-même, sans manque, et ainsi créer de la valeur.
C’est tout le point de l’holacratie. Clarifier le sens et le cadre. Définir des cercles autonomes et pluridisciplinaires pour s’y émanciper et répondre au sens.
A son retour de congé maternité, Myriam découvre qu’en son absence, l’équipe a récupéré l’organisation d’un événement annuel très stratégique pour l’entreprise. L’année dernière, cet événement avait été un fiasco. Julien, le directeur commercial, avait clairement exprimé ses attentes : un nombre d’inscrits en augmentation de 25% et au moins une vingtaine de leads en sortie de l’événement.
Myriam a été sacrément surprise de la réponse apportée par l'équipe sur ce projet sensible. Mais en son absence, ils ont bien dû trouver quelque chose. Ce quelque chose n'a pas été n'importe quoi, il s'est inscrit dans le cadre attendu, ce cadre qui leur a permis de s'émanciper. La réponse a été surprenante, mais conforme aux attentes, et finalement innovante. Elle a ouvert de nouveaux champs d'action sur lesquels l'expertise de Myriam va pouvoir s'exprimer. L'action de Marc a aussi été positive. Avec son œil neuf, il a su ne rien faire qu'il n'allait pas dans le sens du groupe. Et "ne rien faire qui ne va dans le sens" c’est aussi oser arrêter plein de choses. Mais du coup tout ce que nous faisons semble avoir du sens, un impact, de l'importance. Et puis chacun s'est mis à s'interroger intelligemment sur son action.
Parce que de plus en plus de chefs d’entreprise et managers cherchent comment “avoir un truc qui tourne tout seul” et se focaliser sur des activités à plus fortes valeurs ajoutées.
Le bonheur du chef d’entreprise vous y pensez ? Le plaisir du travail bien accompli, lequel serait-il pour eux ? Sauf à se vouloir “control freak” et n’avoir confiance en rien ou personne (et rentrer épuisé le soir), on ne souhaite pas devoir tout décider, tout surveiller. Ainsi avoir un “truc qui tourne tout seul” est probablement un signal de succès. Il sous-entend une organisation dans laquelle les gens sont proactifs, émancipés, probablement eux mêmes accomplis.
Mais est-ce possible ? Toujours entouré de ce monde en constante mutation, peut-on se permettre de décentraliser la décision ? Les bonnes réponses viennent-elles de l’endroit où la question est posée ou d’ailleurs ? L’innovation apparaît-elle incidemment par la collusion d’idées, de personnes et d’actions sur le terrain ou dans une salle blanche à la commande ? Où seront les personnes les plus impliquées : celles qui mettent en œuvre leurs propositions ou celles qui mettent en œuvre des propositions de l’extérieur ?
Beaucoup pensent que l’holacratie est un système à plat. Sûrement pas, c’est une pyramide comme votre organisation actuelle. Mais c’est une pyramide non pas de pouvoir (avec une décision qui ne peut qu’être prise en haut), mais une pyramide du sens. Chaque question est traitée au bon niveau de sens libérant ainsi chaque étage. Parce que l’holacratie autonomise en clarifiant le sens et en clarifiant les règles, elle libère les chefs d’entreprise autant que les membres de l’organisation. C’est pour cela aussi que l’holacratie est une réponse qui captive.
Ne soyez pas gêné par le terme hiérarchie. Mais comprenez et défendez une hiérarchie du sens et pas une hiérarchie des pouvoirs.
Pour Myriam, c'est excitant d'aller travailler. Car elle sait qu'elle a un impact. Car elle en comprend le sens. Pour André, le responsable du département, c'est aussi une source d'épanouissement. Il a découvert que faire grandir les autres était autant, si ce n'est plus, gratifiant que de se faire grandir soi-même. Lui aussi trouve son nouveau rôle enrichissant, il ne perd plus son temps à surveiller, superviser ou même invectiver. Lui aussi trouve du sens.
Parce que toutes les grandes organisations voudraient garder une souplesse “agile”, voudraient être grandes et en même temps préserver leur dynamisme et un mode de fonctionnement à la façon d’une startup.
Quand elles ne savent pas comment gérer ce dynamisme à grande échelle l’holacratie est une réponse.
La façon de répondre aujourd'hui à la croissance d'une organisation, de garder son efficacité tout en grossissant, c'est de rester petit. Mais comment rester petit en étant grand ? Comment être adulte et garder sa créativité d’enfant ? Comment faire grandir une organisation mais garder une proximité sociale, un état d’esprit entrepreneurial ? Comment garder le dynamisme d'une petite unité tout en utilisant la force d'un grand groupe ?
À cela l'holacratie est une réponse.
En proposant une raison d’être qui se décline à chaque niveau, on donne de l’autonomie tout en gardant de la perspective au travers de cercles qui s’englobent.
L’équipe de Myriam reçoit de plus en plus de commandes. 5 personnes viennent de rejoindre l’équipe. Les exigences des clients sont de plus en plus fortes et les concurrents de plus en plus nombreux. Les réunions à 15 ne sont plus efficaces. Et les gens se plaignent que la communication est de moins en moins fluide. On décide alors de découper l’équipe en trois cercles : un cercle chargé de la production et vente de chacun des trois produits. Pour chacun des cercles on a besoin d’un expert en marketing, d’un responsable qualité et d’un chargé de logistique. Les cercles sont autonomes. Les responsables (premier lien) de ces cercles forment un meta-cercle qui les englobe.
Comme évoqué précédemment, le cadre (raison d’être, domaines, redevabilités) libère chacune de ces nouvelles petites équipes. Mais chacune d’elles garde la perspective de son action au travers du cercle qui l’englobe.
On a trouvé comment agréger des dynamiques locales avec une perspective globale.
Conclusion
En clarifiant un cadre dans lequel chacun peut s’émanciper, se responsabiliser, en intégrant la réalité d’une constante évolution de l’organisation, en focalisant les énergies sur la valeur créée et pas le processus ou le coût, en donnant les clefs d’une organisation à l’échelle qui préserve une dynamique de petits groupes, l’holacratie est pleine de promesses.
A propos des Auteurs
Géraldine Legris est coach agile. Elle intervient chez des clients qui ont besoin d’aide pour questionner et améliorer leur façon de travailler. Elle les invite à faire différemment. Ses interlocuteurs sont les équipes, mais aussi les managers et l’organisation toute entière. Elle travaille en équipe, avec l’ensemble des coachs organisationnels et techniques de SOAT. Et elle consigne une grande partie de ses réflexions dans un blog : theobserverself.com
Pablo Pernot : Après une maîtrise sur les Monty Python, un DEA sur le non-sens et l’absurde, l’entame d’un doctorat sur les comiques cinématographiques, il paraît normal que Pablo se soit lancé dans le management organisationnel et la conduite du changement, c’est -finalement- une suite logique. Actuellement coach holistique chez beNext. Son blog :areyouagile.com.