La voix du Coach
A l'heure du digital et de l'Agile à l'échelle de l'entreprise, les offres pour accompagner les équipes et organisations dans ces mutations se multiplient, et la transition reste toujours délicate et longue. Pour démêler les discours, InfoQ FR propose un panorama hétéroclite de ces accompagnants de l'agilité, souvent appelés "coachs", pour donner une voix à ce "métier", et aussi un visage, des pratiques, des modes d'agir dans les organisations.
Cette série propose la vision de coachs français sur leur définition du coaching, leur parcours, leurs réussites et échecs, ainsi que des conseils et éléments de réflexion actuels.
Romain Couturier
Coach agile, facilitateur graphique, artisan du changement, il accompagne les équipes et les organisations dans leur transition et évolution vers l’agilité.
Le coaching agile est une histoire de cadre déontologique, de travail, de réflexion, d'expérimentation. Dans cette interview, je partage tous mes cadres, en toute transparence.
InfoQ FR : Pourriez-vous vous présenter et expliquer à nos lecteurs votre définition de votre métier ?
Romain : Je suis coach agile et facilitateur graphique. D'un côté, j'aide les équipes projet et produit à assimiler la philosophie Agile à travers des méthodes et des pratiques. De l'autre côté, j'aide les groupes de travail à modéliser et visualiser des idées complexes par le dessin et beaucoup d'écoute active. Dans les 2 cas, j'aide ceux qui le demandent à améliorer leur communication et à s'assurer que tout le monde est aligné sur la même compréhension des idées.
La meilleure définition que j'ai trouvé pour l'instant pour décrire ce que je fais est : "Mon rôle de coach agile/facilitateur est de proposer un cadre de réflexion sécurisé dans lequel les personnes sont invitées à coconstruire leurs solutions d’amélioration".
InfoQ FR : Pourriez-vous revenir sur votre parcours et ce qui vous a mené à votre pratique actuelle ?
Romain : En 2003, j'ai démarré en tant que développeur, puis directeur technique dans une startup, puis consultant en SSII. Toutes ces expériences mises bout à bout m'ont amené à décider en 2011 de tenter l'aventure de l'indépendant en créant Terre d'Agile. C'est quasiment au même moment que j'ai contribué aux communautés lyonnaises par le CARA et en co-créant Mix-IT, 2 aventures extraordinaires.
Aujourd'hui, j'ai moins de temps associatif mais ma motivation reste la même : partager et développer l'Agilité dans les équipes et les organisations. Je continue donc à m'inspirer, à intégrer et à transmettre les techniques et pratiques que je trouve actionnables et accessibles au plus grand nombre. Plus récemment, nous avons co-créé un 1CUBE&GO avec Alfred Almendra et Gregory Alexandre qui est un prolongement de cette idée : rendre accessible au plus grand nombre l'Agilité.
InfoQ FR : Concrètement, comment se traduit votre métier au quotidien ? Qu'est-ce que vous faîtes ?
Romain : Je n'ai pas de journée type car je dois gérer à la fois les aspects commerciaux, communication, production, administration et veille de mon activité. Mais essayons : lundi et mardi, je donne une formation sur la facilitation graphique. Mercredi matin, je fais un coaching de Product Owner sur son expression de besoins. L'après-midi, je coache une équipe qui travaille en Kanban et qui cherche la prochaine amélioration. Jeudi matin, je traite l'administratif, je passe quelques coups de fil. L'après-midi, je fais un coaching visuel pour une vidéo d'un client. Le vendredi, je me rends chez une startup que j'accompagne en mode Lean Startup.
Mes actions de coaching agile concernent principalement la mise en place d'un cadre que l'équipe a choisi (Scrum, Kanban, ou autre). J'interviens avec un principe : ne jamais rendre l'équipe dépendante de ma présence. Dans la plupart des cas, en 8 ou 10 demi-journées étalées sur plusieurs semaines, nous faisons un travail fantastique avec les équipes et les managers. Une fois la phase d'initialisation passée, pendant laquelle je suis assez prescripteur de pratiques (certains diraient en "posture haute"), mes interventions se transforment : je pose plus de questions que je n'amène de réponses, je stimule la réflexion collective par des séances de travail.
J'anime aussi de plus en plus des séances d'amélioration continue en équipe : l'idée est de partir du management visuel en place, d'analyser et comprendre les réussites et les actions passées et d'aider l'équipe à réfléchir et à déterminer ce qu'elle doit faire en plus, en moins ou de nouveau pour s'améliorer.
InfoQ FR : Quelles sont vos sources d’inspiration et de formation ?
Romain : La première d'entre toutes est bien évidemment la communauté agile française et internationale. Toutes ces conférences, blogs, livres en accès libre ou quasiment m'influencent et me stimulent quotidiennement. Nous avons quand même le privilège d'évoluer dans un écosystème de professionnels qui partagent sur leur pratique, et leurs expériences.
Dans ma boîte à outils de coach agile, j'intègre tout ce qui me parait pertinent, actionnable et accessible au plus grand nombre. Je m'inspire des techniques de coaching (les formations de Véronique Messager et Jean-François Jagodzinski m'ont beaucoup inspiré), des jeux de toutes sortes (avec un énorme coup de cœur pour la pédagogie Légo(r) Serious Play) et bien évidemment la facilitation graphique (la conférence Euviz de Berlin en 2014 était fabuleuse). Je me nourris également lors des rencontres de la Fédération Agile, un think tank français sur l'Agilité si on peut dire.
Je m'inspire aussi des étudiants. Je donne quelques journées de cours chaque année pour expérimenter de nouveaux formats et vérifier que "je sais" toujours transmettre. Ce contact est indispensable.
Je n'ai pas encore décidé de ma prochaine formation à suivre, mais elle me sortira de ma zone de confort c'est certain :-)
InfoQ FR : Pour vous, quelle est la partie la plus intéressante de ce que vous faites ?
Romain : En premier, c'est la diversité des métiers et des personnes que j'accompagne qui me font intervenir. Mon activité m'ouvre les yeux sur des mondes professionnels que je n'imaginais même pas. Je ne dirais pas que chaque jour est une découverte, mais presque.
Mais cette diversité prend tout son sens aussi parce j'ai la liberté de proposer des façons de travailler et prendre aussi le temps d'écouter. On a beau parler d'Agilité, de méthode(s), de pratique(s), etc., il n'y a pas deux contextes d'équipes qui se ressemblent. A chaque fois, il faut adapter et personnaliser ses pratiques, faire des "entorses" aux règles connues tout en restant dans le cadre agile. C'est un exercice qui n'est pas tous les jours simple mais qui fait que je ne m'endors pas sur mes lauriers, sur mes certitudes ou sur les pratiques.
InfoQ FR : A l'inverse, qu'est-ce qui vous paraît compliqué dans la posture du coach ?
Romain : Poser tout le temps des questions sans amener de réponse :-) A certains moments, les équipes vous posent clairement la question : "Et toi, tu en penses quoi ?". Dans ces situations, je suis bien obligé de prendre position. C'est d'autant plus compliqué que je n'ai pas autant de connaissances de la situation que les personnes qui me posent la question.
L'autre point qui peut être délicat est de travailler en situation d'urgence. C'est à dire quand une équipe est dans une période intense (par exemple un rush projet). Tout le monde dit que ce serait bien de réfléchir ensemble, mais mobiliser 1 ou 2 heures pour prendre de la hauteur est parfois un temps qui est trop difficile à dégager. L'équipe préfère produire. Dans ces cas-là, j'attends d'être rappelé pour revenir à un meilleur moment où chacun sera plus disponible, tant physiquement qu'intellectuellement.
InfoQ FR : Quelles sont vos plus belles réussites en tant que coach ?
Romain : Si je reste dans ma posture de coach, je devrais répondre que la réussite est avant tout celle des équipes et je le pense sincèrement. Ce sont elles qui font le travail, qui décident de s'organiser de telle ou telle manière (ou pas !). Je ne suis qu'un catalyseur, un vecteur. Je crois que certaines fois, j'ai juste insufflé une bonne énergie au bon moment et elles ont fait le reste. J'ai de très bons souvenirs à l'INSEE car ils ont réussi à prioriser, avec des médecins du travail parce qu'ils ont fait un séminaire totalement innovant. Ou chez Santeffi parce qu'ils connaissent désormais leur délai. Les plus belles réussites, je les constate bien après mon intervention quand je recroise des personnes que j'ai acccompagnées qui me parlent de leur progrès et qu'elles font un lien avec mon intervention.
Une autre forme de réussites sont aussi ce que j'appelle les "petits moments". Par exemple, quand je vois que la personne réticente en début de journée est devenue un élément moteur, quand la personne introvertie prend sa place dans l'équipe en proposant soudainement une idée reprise par tous, ou encore quand les personnes se congratulent pour le travail qu'elles ont accompli. Les "petits moments" ne sont pas spécialement nombreux, ni quotidiens d'ailleurs, mais c'est ce qui me donne de l'énergie.
InfoQ FR : Quels sont vos plus criants échecs ? Qu'en avez-vous appris ?
Romain : Ma première mission en tant que "coach agile" dans une équipe d'un grand groupe de BTP. J'étais bien naïf, j'avais les yeux qui brillaient pour Scrum, je ne voyais pas d'autre modèle. J'appliquais à la lettre toutes les meilleures pratiques du moment (nous étions en 2009). Un mois ou deux après le démarrage de la mission, je me retrouve en tête à tête avec le DSI pendant le déjeuner. Il me pose des questions, je lui réponds. Le soir, mon responsable d'agence m'indiquait que j'étais viré de la mission :-) Pourquoi ? Je n'ai jamais su la vraie raison mais je suspecte d'avoir manqué de tact, de n'avoir été centré que sur mes envies et non pas sur les besoins de l'équipe. Dans tous les cas, il n'a pas entendu ce qu'il voulait entendre. Ca m'a servi de leçon : je crois que j'ai compris avec cette expérience ce que "dogmatique" signifiait.
InfoQ FR : Comment percevez-vous le déploiement de l'Agile dans les organisations françaises ?
Romain : L'Agilité est un sujet incontournable. Le mot est dans tous les esprits (ou presque). Je l'entends aussi bien chez les clients finaux que chez les opérationnels, les responsables produit ou le management.
Cependant, il y a un énorme écart à mon sens entre ce que nous discutons entre experts et la réalité du terrain. Beaucoup d'équipes galèrent encore à faire un daily meeting de 15 minutes, ou se posent encore la question sur la manière d'animer une rétrospective. Je ne vous parle pas du débat entre coller des post-it ou utiliser un outil numérique. L'intention est là, beaucoup veulent passer à l'acte. Mais en équipe, les avancées restent plus modestes. Il y a quelques années, le sujet du changement de culture était dans l'air, je crois qu'il est toujours là et que nous cherchons encore comment y parvenir. Nous voyons aussi beaucoup de retours d'expériences qui montrent de beaux résultats ! L'Agilité a démontré son efficacité, elle n'est plus à démontrer, c'est une option d'organisation projet et produit qui dépasse simplement l'IT. La prochaine étape est de donner accès à cette réussite au plus grand nombre.
En parallèle de cette Agilité opérationnelle, il y a l'Agilité marketing ! Entreprise agile, contrat agile, l'Agilité est partout et va bien au-delà de simplement la construction d'un livrable. C'est à la fois un danger : le terme Agile reste vague, sans définition précise, qui peut laisser chacun avoir son interprétation. L'une des pires étant de redorer le blason de mauvaises pratiques sous couvert d'Agilité. On peut facilement comprendre que l'effet est dévastateur. Mais c'est aussi une chance : passé le moment de l'effet à la mode, de plus en plus d'organisations se posent la question du passage à l'acte "agile". C'est une opportunité pour nous professionnels d'être présents pour préserver notre éthique et une qualité irréprochable dans l'accompagnement vers plus d'Agilité.
InfoQ FR : Comment analysez-vous le développement du coaching agile sur les dernières années ?
Romain : De manière assez simple, on pourrait se dire que dans coach agile, il y a "coach". C'est à dire une personne généralement certifiée, qui peut se revendiquer d'être rattachée à une structure qui a déterminé les valeurs, l'éthique et le cadre déontologique d'une action de coaching. Un coach est souvent supervisé.
De nombreux coachs agiles ont suivi un cursus plus ou moins long de coaching, et d'autres non.
Coach agile est aussi un terme qui a émergé dans la communauté d'Agilistes pour désigner un professionnel qui vous accompagne dans votre mise en place de l'Agilité. Bien souvent, un coach agile est auto-désigné (c'est ce que j'ai fait en 2009). C'est ce qui fait que nous sommes des centaines de coachs agiles sur le marché (faites une recherche LinkedIn, vous allez voir). Difficile après de s'y retrouver. Qu'est-ce qu'un bon coach agile ? Il n'y a toujours pas de définition. Chacun s'inspirera librement des différents coachs agiles, qui montrent et/ou donnent leurs travaux, pour établir leur propre style.
Personnellement, j'ai plaisir à voir mes homologues coachs agiles dont je partage les valeurs, ce sont généralement ceux présents dans la communauté, qui partagent, qui donnent. Une autre partie des coachs agiles est invisible, absente des communautés et des conférences. Et pourtant, ils sont sur le terrain dans les équipes. J'aimerais voir ces personnes nous partager leurs retours d'expérience, leurs trouvailles et qu'elles enrichissent la réflexion collective sur la maturation de l'Agilité.
InfoQ FR : Si nos lecteurs veulent se lancer, par où leur conseilleriez-vous de commencer ?
Romain : C'est une question que j'ai souvent reçue. Je recommande d'abord d'aller voir ce qui se passe dans les associations agiles locales qui sont très actives et qui animent leur communauté. Ce sont les meilleurs espaces pour découvrir de nouveaux sujets, rencontrer d'autres professionnels et partager ses réflexions.
Pour celles et ceux qui souhaitent un peu de lecture, ils sont chanceux car la littérature fleurit chaque jour un peu plus sur l'Agilité. Difficile de s'y retrouver entre les livres, les blogs, les tweets, les conférences, etc. Du coup j'ai écris un article qui tente d'y répondre : Les 8 ressources indispensables pour se lancer dans l'Agilité.
InfoQ FR : Quelles sont les tendances qui vous ont étonné récemment et que vous pourriez partager avec nos lecteurs ?
Romain : Il y a eu tout cette vague sur l'Entreprise Libérée dont la plus belle synthèse est le reportage "Le bonheur au travail". Aujourd'hui, les retours d'expérience ne sont pas tous aussi idylliques, mais cette idée qu'il est possible de prendre du plaisir à produire mieux, ensemble et en moins de temps est là et c'est possible. C'est une aspiration que je vois quasiment partout, qui donne envie. L'Agilité est une des réponses qui permet d'y parvenir. Cela demande des efforts et de la discipline de la part de chacun (écoute, tolérance, empathie, courage, etc.) pour en tirer tous les bénéfices.
C'est drôle car presque en même temps, le thème de l'Agilité à grande échelle a émergé. J'avoue ne pas avoir compris l'engouement pour toutes ces usines à gaz méthodologiques (SAFE, LeSS, et consort) mais je suis aussi peu concerné car je suis très peu confronté à ces "grands" environnements. J'ai l'impression que beaucoup d'organisations brûlent les étapes : elles voient grand sans avoir démontré qu'elles savent faire à petite échelle.
Récemment, je me suis ré-émerveillé de tous les jeux, simulations qui sortent en permanence et qui nous aident pour mieux apprendre, comprendre et partager autour de sujets complexes. Je vous renvoie vers le Wiki d'Agile Game France qui est un vivier incroyable d'ateliers et de jeux à partager entre équipiers (entre amis ou en famille ça marche aussi :-)).
Enfin, je terminerai avec une mention spéciale pour tous les traducteurs français qui sont des contributeurs incroyables qui donnent énormément. Je les remercie pour toute leur énergie et leurs travaux, Fabrice Aimetti et le wiki Ayeba, les traducteurs agiles, Franck Depierre + tous ceux que j'oublie, etc.