La Voix du Coach
A l'heure du digital et de l'Agile à l'échelle de l'entreprise, les offres pour accompagner les équipes et organisations dans ces mutations se multiplient, et la transition reste toujours délicate et longue. Pour démêler les discours, InfoQ FR propose un panorama hétéroclite de ces accompagnants de l'agilité, souvent appelés "coachs", pour donner une voix à ce "métier", et aussi un visage, des pratiques, des modes d'agir dans les organisations.
Cette série propose la vision de coachs français sur leur définition du coaching, leur parcours, leurs réussites et échecs, ainsi que des conseils et éléments de réflexion actuels.
Alfred Almendra
Alfred Almendra est consultant indépendant en management agile. Il forme et accompagne les personnes, les équipes et les organisations vers toujours plus d'agilité. Ses approches de prédilection sont Scrum, Kanban, le Lean Management, les ateliers d'innovation, et le Lean Startup.
InfoQ FR : Pourriez-vous vous présenter et expliquer à nos lecteurs votre définition de votre métier ?
Alfred : Je suis consultant indépendant en management agile. J'adapte mon rôle et ma posture en fonction du contexte, de la demande, et du besoin du client. Je passe le plus clair de mon temps dans l'ordre : à faciliter des réunions/cérémonies, à former et accompagner les personnes et les équipes dans leur changement culturel et opérationnel. Il m'arrive de jouer un rôle opérationnel comme scrum master ou d'adopter une posture basse en tant que coach agile (mais je ne suis pas coach : nuance !).
InfoQ FR : Pourriez-vous revenir sur votre parcours et ce qui vous a mené à votre pratique actuelle ?
Alfred J'ai commencé à travailler en tant que programmeur chez un éditeur de logiciels. Comme méthode de travail, nous utilisions l'eXtreme Programming. Avec le recul, je dirais une version très personnalisée d'XP, mais quand même avec l'humain et les pratiques de qualité au cœur ! Cela fonctionnait tellement bien que j'ai longtemps cru que la planète entière utilisait la même méthode. Le manifeste agile n'était pas né, et je n'avais même pas imaginé que d'autres méthodes suivaient la même démarche avec des pratiques plus ou moins similaires.
Lorsque j'ai quitté la capitale pour m'installer en province, j'ai découvert les joies du service et l'immense potentiel d'amélioration dans ce domaine, que ce soit sur la gestion de projet opérationnelle, l'expression des besoins, la dynamique d'équipe, le management, ou encore la conduite du changement ! Cela m'a bousculé dans ma perception du travail, et j'ai commencé à chercher et expérimenter d'autres méthodes de travail et d'amélioration continue. Puis, j'ai découvert les communautés techniques, la communauté agile, et je me suis senti moins seul !
InfoQ FR : Concrètement, comment se traduit votre métier au quotidien ? Qu'est-ce que vous faîtes ?
Alfred : Mes journées ne se ressemblent pas toutes, et il m'arrive d'intervenir chez 3 ou 4 clients dans la même semaine, avec des contextes et des types d'intervention différents.
Voici l'exemple d'une journée récente mixant plusieurs contextes :
- J'assiste au standup d'une équipe sans intervenir, et ensuite j'aide le scrum master à tracer les graphiques au mur et je réponds aux questions qu'il se pose sur la méthode.
- J'anime un point hebdomadaire d'amélioration de 30 minutes avec un groupe de 3 personnes.
- Je facilite un atelier utilisateur pour une autre équipe.
- Je mange un sandwich et me rend chez un autre client.
- J'anime la rétrospective d'une équipe.
- J'aide une autre équipe à configurer Jira et à exploiter les graphiques des tableaux Kanban.
- Je fais un point d'une heure avec le manager d'un département pour préparer un kick-off.
- Le soir, j'anime un atelier sur le Lean Startup dans un club d'entrepreneurs.
Heureusement que toutes les journées ne sont pas aussi chargées, et que je n'avais pas de formation à animer le lendemain !...
InfoQ FR : Quelles sont vos sources d’inspiration et de formation ?
Alfred : Pour paraphraser Laurent Morisseau (lors de l'Agile Tour Toulouse 2014 je crois) : les agilistes sont des éponges à pratiques ! Je me reconnais complètement dans cette démarche de croiser et de s'inspirer de différentes approches et de différents contextes.
En ce moment, je m'inspire beaucoup :
- De la pédagogie inversée et de l'école Palo Alto.
- Des approches entrepreneuriales et d'innovation comme le Lean Startup, l'innovation frugale, et le design thinking.
- Du Lean Management et des entreprises libérées.
InfoQ FR : Pour vous, quelle est la partie la plus intéressante de ce que vous faîtes ?
Alfred : La variété des types d'intervention, des contextes, et le double apprentissage : je reçois et je donne en permanence.
Lorsque je facilite une réunion, un atelier, ou une cérémonie agile, j'éprouve du plaisir à faire émerger les idées, à reformuler et favoriser la compréhension par tous les participants, à challenger les croyances, à utiliser la visualisation pour focaliser les discussions et faire converger le groupe, et tout ça dans un temps contraint court. Cerise sur le gâteau : le compte-rendu se résume souvent à prendre en photo les notes prises en live sur un tableau blanc ou un paper board. C'est super efficace, rapide et pas cher !
Lorsque je forme ou que j'accompagne les personnes et les équipes, j'utilise beaucoup la vulgarisation et les métaphores. C'est un défi permanent de créativité pour rendre la connaissance la plus explicite et accessible possible sans en trahir l'esprit. Moi qui ne suit pas spécialement créatif, je suis ravi lorsque mes messages font mouche !
Il m'est arrivé d'intervenir en concertation avec plusieurs profils : par exemple avec un coach humain chez un éditeur ayant connu une rupture entre la direction et les équipes, ou encore avec d'autres coachs agiles et des mentors techniques dans un grand groupe. Cela m'a beaucoup fait progresser, et j'ai trouvé cela particulièrement efficace et stimulant. Un accompagnement simultané par 3 intervenants aux niveaux respectifs des dirigeants, des managers/responsables, et des équipes/projets est par exemple une super tactique pour accompagner la transformation agile d'une entreprise.
InfoQ FR : A l'inverse, qu'est-ce qui vous paraît compliqué dans la posture du coach ?
Alfred : La posture basse demande de faire abstraction de ses propres croyances pour maximiser l'écoute active et l'empathie, sans jugement. Personnellement, j'ai besoin d'un temps avant l'échange pour me mettre en condition, et après pour récupérer.
Il y a aussi les pièges de l'empathie : il y a une différence entre écouter et comprendre ce que ressent une personne ou une équipe, d'une part, et d'autre part être tenté d'apporter une solution toute faite ou de se sentir obligé ou pressé d'aider cette personne ou ce groupe. Plus l'empathie est intense, plus je dois résister à cette tentation.
Cette posture demande également de prendre du recul : à la fois se détacher du contexte des personnes accompagnées, et avoir un regard critique et d'amélioration sur sa propre intervention. Même si je ne suis pas coach humain, j'utilise une technique de coaching depuis plusieurs années : la supervision. Je suis supervisé chaque mois par un coach agile depuis plusieurs années. Cela m'est très utile, et je le recommande à tout acteur du changement en général, quelque soit son rôle.
InfoQ FR : Quelles sont vos plus belles réussites en tant que coach ?
Alfred : J'ai eu le plaisir d'accompagner et de voir à l'oeuvre des responsables ayant adopté l'agilité, c'est-à-dire l'état d'esprit de la démarche agile. Ma satisfaction vient du fait qu'ils et elles sont devenus à leur tour des coachs agiles au sein de leurs organisations respectives.
Par exemple, un manager qui a affiché sur le mur de l'équipe "les personnes et la qualité plus que la quantité", et qui a rappelé ces valeurs régulièrement, d'abord chaque jour, puis chaque semaine, puis de temps en temps. Son équipe a mené à bien un projet de A à Z pendant 1 an, en livrant de la valeur toutes les 2 semaines à ses clients et utilisateurs, sans avoir à se coltiner un stock même minime de bugs. Et ça, c'est précieux tout le long de la vie d'un produit, au-delà du projet de construction !
InfoQ FR : Quels sont vos plus criants échecs ? Qu'en avez-vous appris ?
Alfred : Lorsqu'il y a une ambiguïté sur mon rôle (consultant ou coach agile), cela ne manque pas : l'équipe s'embourbe et n'avance pas sur ses axes d'amélioration. J'évite donc d'intervenir avec plusieurs casquettes auprès d'une même équipe, ou lorsque cela arrive, j'explicite clairement mon rôle au début de chaque intervention.
Au début de mon activité de consultant indépendant (il y a plus de 10 ans...), j'étais encore dans le modèle "à chaque problème sa solution". Mais je me suis vite aperçu qu'en améliorant d'un côté, on peut dégrader de l'autre, et vice-versa, et que les équipes et les entreprises sont parfois capables de tourner ainsi en rond pendant des années ! J'ai alors progressivement découvert les systèmes complexes, la systémique, la résolution de problème, et l'amélioration continue de la performance globale.
InfoQ FR : Comment percevez-vous le déploiement de l'Agile dans les organisations françaises ?
Alfred : Je me demande combien d'entreprises auto-proclamées agiles connaissent le manifeste agile. Et, en même temps, je redoute la réponse ! Officiellement, sur la place publique, tout le monde est et fait de l'agile. Sur le terrain, j'ai l'impression qu'on n'en est qu'au début. De mon point de vue limité.
InfoQ FR : Comment analysez-vous le développement du coaching agile sur les dernières années ?
Alfred : La qualification "coach agile" est comme celle d'expert : il n'y a pas de cursus ou de diplôme particulier ! Du coup, on peut tous s'auto-proclamer "coach agile". Mais on est d'accord que cela n'a rien à voir avec le métier de coach, qui nécessite de suivre un cursus long de formation, de respecter un code de déontologie, et d'être supervisé dans son activité (pour ne citer que ce point).
Je me demande d'ailleurs d'où vient le terme "coach agile" : si quelqu'un en connaît l'origine officielle, je suis preneur. Mon hypothèse est que cela vient du rôle de coach dans l'eXtreme Programming, qui ressemble plutôt à du mentorat.
Je connais plusieurs scrum masters ayant choisi de suivre une formation de coach humain. Et je vois de plus en plus de scrum masters et de responsables adopter une posture basse. De là à en faire une généralité ou un mouvement de fond, je ne suis pas certain que ce soit le cas.
InfoQ FR : Si nos lecteurs veulent se lancer, par où leur conseilleriez-vous de commencer ?
Alfred : Pour les personnes qui découvrent l'agilité, voici un billet d'explication avec des liens et des pointeurs vers des ressources en ligne.
Pour les personnes qui connaissent déjà l'agilité et qui voudraient pratiquer le coaching agile, je vous recommande les formations de Véronique Messager et de Jean-François Jagodzinski, et les 2 livres suivants :
- Coacher une équipe agile de Véronique Messager
- Coaching agile de Rachel Davies et Liz Sedley (traduit en français)
InfoQ FR : Quelles sont les tendances qui vous ont étonné récemment et que vous pourriez partager avec nos lecteurs ?
Alfred : Je n'ai pas encore lu son livre "Reinventing Organizations", mais je vous recommande les vidéos de Frédéric Laloux.