La voix du Coach
A l'heure du digital et de l'Agile à l'échelle de l'entreprise, les offres pour accompagner les équipes et organisations dans ces mutations se multiplient, et la transition reste toujours délicate et longue. Pour démêler les discours, InfoQ FR propose un panorama hétéroclite de ces accompagnants de l'agilité, souvent appelés "coachs", pour donner une voix à ce "métier", et aussi un visage, des pratiques, des modes d'agir dans les organisations.
Cette série propose la vision de coachs français sur leur définition du coaching, leur parcours, leurs réussites et échecs, ainsi que des conseils et éléments de réflexion actuels.
Maxime Bonnet
Coach agile depuis 4 ans, membre de CGI depuis une année, Maxime accompagne des équipes projet et leurs managers dans leurs transformations vers les pratiques et valeurs agiles. Il fait partie du réseau Happy Melly fondé entre autres par Jurgen Appelo (Management 3.0) et Lisette Sutherland (Collaboration Superpowers). Très joueur, Maxime utilise les Serious Games et particulièrement les Innovation Games pour animer des kickoffs, des ateliers de métiers et des rétrospectives.
InfoQ FR : Pourriez-vous vous présenter et expliquer à nos lecteurs votre définition de votre métier ?
Maxime Bonnet : Le terme le plus fréquemment employé pour décrire mon métier est Coach Agile et c'est celui qui correspond le mieux je trouve, me concernant. Mais il n'y a pas de vraie définition. Entre expert agile, consultant, formateur, mes activités sont vastes et diverses. La différence entre toutes ces activités est liée au positionnement vis à vis des gens que l'on accompagne. En tant que coach agile je ne suis pas un opérationnel, je ne prends pas de décision pour le projet, j'aide à faire naître les idées. En tant qu'expert/consultant agile, je suis plus dans l'application d'un savoir-faire que d'un savoir-être.
L'agilité n'est pas qu'un ensemble de processus et pratiques, c'est surtout un ensemble de valeurs. Ces valeurs doivent devenir celles des personnes accompagnées, ainsi c'est principalement par le questionnement et la suggestion que je travaille.
Je suis aussi là pour apporter de temps en temps de nouvelles pratiques, permettre à l'équipe de découvrir de nouveaux moyens de devenir plus productive, autonome, créative.
Mes interventions peuvent aussi être plus focalisées sur une personne qui le demande et dans ce cas, je l'accompagne dans son rôle en l'écoutant et en la questionnant lors de séances de one to one. On s'approche alors davantage du travail de coach même s'il est important de noter que je n'ai pas la qualification de coach personnel qui nécessite une formation dédiée. Il faut obligatoirement connaître la limite de nos interventions, nous sommes coach d'entreprise, notre cadre est celui de la sphère professionnelle. Nous n'adressons pas la sphère privée.
InfoQ FR : Pourriez-vous revenir sur votre parcours et ce qui vous a mené à votre pratique actuelle ?
Maxime Bonnet : Fraichement diplômé en informatique de l'INSA de Rennes en 1998, je débute ma carrière en société de service dans les télécoms. J'ai toujours aimé la technique et le codage en particulier.
Assez rapidement, je suis devenu chef d'équipe puis chef de projet en me réorientant vers le développement d'applications web. De cette période de responsabilité, je garde un sentiment mitigé car je me suis assez rapidement rendu compte que la gestion de projet n'était pas là pour aider les équipes à réussir, mais pour essayer de corriger un processus défaillant. Mon style de management a souvent été en délégation, aidant les équipes dans leur travail tout en leur laissant une grande autonomie. En parallèle, j'ai commencé à devenir formateur, tout d'abord sur des sujets techniques, puis petit à petit sur les sujets agiles (UP, Scrum, recueil du besoin en mode agile). Assez naturellement, je suis devenu Scrum master, car ce rôle est assez proche de ma manière de diriger les projets.
Le grand changement qui m'a mis sur la voie du coaching, ce fut une formation en développement personnel avec comme thème le MBTI 'Myers-briggs Type indicator" dispensée par l'excellente coach Brigitte Santamarina. Plus que le contenu, qui doit être appliqué avec discernement comme toutes les soft-skills, c'est le parcours de cette personne qui m'a donné envie de prendre la voie du coaching qui permet vraiment d'aider les autres à accomplir leurs objectifs.
Suite à cela, je me suis mis à acquérir plus de compétences nécessaires au coaching, comme la facilitation, l'animation de serious games, l'accompagnement de managers. J'accompagne depuis 4 ans maintenant des projets et afin de professionnaliser mon approche j'ai voulu suivre la très intéressante formation de Véronique Messager sur le Coaching Agile.
InfoQ FR : Concrètement, comment se traduit votre métier au quotidien ? Qu'est-ce que vous faites ?
Maxime Bonnet : Il est difficile de décrire une journée type car mon métier par définition est extrêmement variable. On peut tout de même faire ressortir 5 grands thèmes :
- La formation : lorsque l'on commence un accompagnement, il est parfois nécessaire de fournir les bases avant de commencer le coaching réellement. Je crée des formations et les dispense en fonction des besoins et du public. Les thèmes sont variés et peuvent se décliner sur des sessions d'une heure à une semaine.
- L'accompagnement : suite à la formation, il faut mettre en œuvre ce que l'on a appris. Je passe du temps avec chaque personne afin de comprendre son point de vue, ses contraintes et pouvoir l'aider vers la mise en oeuvre de pratiques et valeurs agiles. J'accompagne aussi les groupes avec des sessions de questions régulières, des facilitations et des serious games.
- L'expertise agile : dans cet exercice, on ne me demande pas d'être coach, mais plutôt de faire un diagnostic et proposer des solutions. C'est une position haute qui est parfois nécessaire.
- L'animation / la facilitation : j'anime de nombreux types d'ateliers. Que ce soit des ateliers créatifs avec les métiers, des rétrospectives avec les équipes, des kickoffs ; j'utilise les serious games afin d'obtenir un résultat intéressant pour les équipes et les parties prenantes.
- La veille : afin d'être toujours à même de proposer un contenu et des animations de qualité, je dois maintenir mes compétences à jour vis à vis du monde agile. Cela nécessite d’être à l'écoute du réseau des coachs.
Dans une journée, il peut y avoir une ou plusieurs de ces activités, en fonction des besoins des équipes.
InfoQ FR : Quelles sont vos sources d’inspiration et de formation ?
Maxime Bonnet : Beaucoup de coachs sont de gros lecteurs d'ouvrage de l'art, ce n'est pas mon cas. J'ai une approche "réseau" de l'agilité et pour cela Twitter est un excellent outil. Je me suis abonné à quelques grands coachs agiles qui retweet régulièrement l'état de l'art. Je vous conseille fortement @alfredAlmendra qui donne un bon panorama des sujets du moment. Je fais aussi partie du réseau Happy Melly qui me permet d'échanger au niveau mondial autour des sujets du bonheur au travail, du management 3.0, de la collaboration à distance.
Les formations soft-skills ont ma préférence, que ce soit MBTI, Process Com ou PNL. Il n'est pas obligatoire d'y croire dur comme fer, cela permet déjà de s'ouvrir un peu l'esprit.
L'agilité et le coaching sont deux activités qui fonctionnent mieux face à face, aussi mes lieux privilégiés de captation d'information et d'inspiration sont les nombreuses conférences. J'aime particulièrement Agile Game France pour le côté ludique et le partage.
InfoQ FR : Pour vous, quelle est la partie la plus intéressante de ce que vous faites ?
Maxime Bonnet : En ce qui me concerne, les activités qui me plaisent le plus, c'est le travail sur les relations humaines et les comportements. Je suis convaincu que nos améliorations doivent tendre vers un certain bonheur au travail pour être viable. Mes activités favorites sont généralement celles qui permettent aux gens de trouver des solutions, des actions, des envies. La formation est très intéressante pour cela et le travail en tête à tête aussi.
Et comme je suis assez joueur, tous ce qui concerne l''animation de serious games me plait. Pourquoi devrait-on s'ennuyer au travail ?
InfoQ FR : A l'inverse, qu'est-ce qui vous paraît compliqué dans la posture du coach ?
Maxime Bonnet : Le plus dur est que notre métier et notre champ d’expertise sont mal compris et/ou connus. La position basse du coach nécessite de devoir créer de la confiance, de laisser les choses se faire, or nous sommes souvent envoyés sur des missions de type "Consultant agile" où nous devons être plus directif, réactif.
Il est difficile aussi de faire comprendre que nous avons besoin d'un temps d'observation de l'équipe de manière à pouvoir identifier les comportements des uns et des autres. Ce temps d'observation paraît pour certains managers être de la perte de temps : nous devons "produire" quelque chose.
Pour finir, le plus grand danger à mon avis, c'est de vouloir devenir un sauveur du triangle dramatique. Attention, nous ne sommes que coach agile, pas coach en développement personnel et encore moins des psychologues. Il faut savoir dire "non" quand des sujets personnels surgissent ou des éléments hors de notre sphère de compétence.
InfoQ FR : Quelles sont vos plus belles réussites en tant que coach ?
Maxime Bonnet : Quand une équipe me dit qu'elle n'a plus besoin de moi et que j'observe que c'est effectivement le cas. C'est assez paradoxal, car on s'en va au milieu du projet, mais normalement cela veut dire que le groupe a assimilé les valeurs et pratiques agiles. Le plus plaisant est de revenir 6 mois après pour se rendre compte que l'agilité continue, que les processus et pratiques ont évolué dans le bon sens. Bref qu'ils ont utilisé l'amélioration continue pour s'approprier leur cadre de travail sans notre aide.
Plus personnellement, une personne qui vous remercie de l'avoir aidée ou juste écoutée, est déjà une réussite.
InfoQ FR : Quels sont vos plus criants échecs ? Qu'en avez-vous appris ?
Maxime Bonnet : Nous prônons le droit à l'erreur auprès des équipes, pourquoi ne pas se l'appliquer à soi aussi ? Nous travaillons avec des êtres humains avec leurs forces et leur faiblesses. Les solutions pour les uns ne marchent pas pour les autres. Aussi, il est dur de tirer un enseignement générique d'un échec ponctuel.
Mais je dirais que les échecs que j'ai pu avoir sont souvent liés au manque de prise de recul. Nous devons rester en dehors de l'équipe et hors des jeux de pouvoir.
Un des échecs qui m'a touché récemment, est l'animation d'une rétrospective, où un participant a craqué emotionnellement du fait d'un contexte personnel compliqué. Il est dur de maintenir un cadre sécuritaire lors d'une réunion où on demande aux gens de montrer leurs problèmes à tous. Je suis maintenant très attentif aux signes précurseurs de ces situations.
InfoQ FR : Comment percevez-vous le déploiement de l'Agile dans les organisations françaises ?
Maxime Bonnet : Actuellement en France, beaucoup de sociétés se mettent à l'"agilité" sous l'impulsion de nouveaux managers et grâce aux bons résultats observés sur des projets agiles. Le problème est que l'approche utilisée pour passer à l'agilité est la même que celle pour passer à du CMMI ou du PMI. On cherche le processus qui marchera pour tous. Or l'agilité ce n'est pas ça. De plus, si les équipes sont généralement assez ouvertes à l'agilité, le middle management est plus critique à son égard voyant une attaque sur ses prérogatives. Aussi l'agilité en France, est devenue un mot à la mode (on parle même de contrat de travail "agile"), les managers de haut niveau semblent vouloir y aller. Mais les motivations et les modifications induites ne sont pas bien appréciées. De nombreux projets dits "agiles" ne sont que des packagings de projets classiques.
Sans changement de valeurs, que ce soit en termes de gouvernance ou de gestion de projet, il n'y aura pas de passage à l'agilité.
InfoQ FR : Comment analysez-vous le développement du coaching agile sur les dernières années ?
Maxime Bonnet : Sur la place lyonnaise, une grosse majorité des coachs se connaissent et se fréquentent régulièrement, ce qui permet de créer une dynamique d'échange et de partage salutaire. Beaucoup de gens s'auto-proclament coach sans les compétences et le savoir-être : ils sont souvent plus consultants agiles, ce qui rend difficile la lisibilité de ce que nous faisons. Néanmoins, on observe aussi un certain phénomène de vase clos entre les coachs, et même une starification, la venue de nouveaux coachs avec de nouvelles idées est une aubaine pour nous tous et nous permet de sortir de notre boîte.
InfoQ FR : Si nos lecteurs veulent se lancer, par où leur conseilleriez-vous de commencer ?
Maxime Bonnet : A mon avis, il ne faut pas s'improviser coach en ayant lu un livre. Ce que recherche les coachés, c'est une expérience plus qu'une expertise. Aussi, je conseille de commencer par être scrum master sur différents types de projets (gros, petit, complexe, distribué, au sein d'un programme, de la TMA) afin de pouvoir vivre de l'intérieur ce que ressentent les équipes lors du passage à l'agilité.
Il faut aussi des compétences, et le meilleur moyen de les acquérir est de rejoindre le réseau des coachs agiles lors des conférences (Agile tour, Agile game), des openspaces et associations locales (CARA pour Lyon).
Une formation à ce qu'est le coaching est aussi un plus.
InfoQ FR : Quelles sont les tendances qui vous ont étonné récemment et que vous pourriez partager avec nos lecteurs ?
Maxime Bonnet : Je suis fan de Serious Gaming et j'utilise beaucoup le wiki Ayeba (inscription par participation aux traductions) qui est tenu par Fabrice Aimetti . Sur twitter je suis @alfredAlmendra, @RomainCouturier, @VincentDaviet, @Pierre_Fauvel et @gregalexandre sur Lyon. Pour l’international, faisant partie du réseau Happy Melly, je suis @JurgenAppelo et @lightling.
Actuellement, j'attends avec impatience "Collaboration Superposer", le livre de Lisette Sutherland sur la collaboration à distance car c'est une problématique que je rencontre très fréquemment actuellement.