La voix du Coach
A l'heure du digital et de l'Agile à l'échelle de l'entreprise, les offres pour accompagner les équipes et organisations dans ces mutations se multiplient, et la transition reste toujours délicate et longue. Pour démêler les discours, InfoQ FR propose un panorama hétéroclite de ces accompagnants de l'agilité, souvent appelés "coachs", pour donner une voix à ce "métier", et aussi un visage, des pratiques, des modes d'agir dans les organisations.
Cette série propose la vision de coachs français sur leur définition du coaching, leur parcours, leurs réussites et échecs, ainsi que des conseils et éléments de réflexion actuels.
Pierre Fauvel
Manager, Leader et Coach Agile.
Selon lui, il n'y a pas deux Coachs qui œuvrent de la même façon ; il amène au succès avec : de la congruence, de l'empathie, du pragmatisme et des inspirations étranges.
InfoQ FR : Pourriez-vous vous présenter et expliquer à nos lecteurs votre définition de votre métier ?
Pierre Fauvel : Je sers à la fois de stimulus, de source d'agitation et de garde fou. Pour expérimenter, il faut de la sérénité. Un guide de montagne. Aider les voyageurs dans le début de leur périple. Un passeur vers l'autre rive.
Je suis infiltré, d'un abord assez rassurant, en costume, familier des ambiances corporate. Je présente, j'explique, j'oriente, je guide.
Et après un projet agile réussi, il n'y a plus de demi-tour possible, tous veulent continuer dans cette voie.
InfoQ FR : Pourriez-vous revenir sur votre parcours et ce qui vous a mené à votre pratique actuelle ?
Pierre Fauvel : J'ai eu un parcours assez classique high-tech : dev java depuis 1998, puis une alternance entre architecte et chef de projet. En 2004, un développeur m'a proposé de passer à XP sur le projet que je gérais et je dois dire que j'ai raté cette opportunité, sans bien comprendre ce dont il s'agissait.
En 2005, j'ai été confronté au sein d'une équipe Octo aux pratiques d'ingénierie issues de XP, ce qui m'a frappé : 100% de couverture du code du framework d'entreprise par des TUA, intégration continue + stop the line, tests fonctionnels automatisés généralisés avec Fitnesse. Du coup, presque pas de bugs.
En 2007, formation de Scrum Master par Jean Tabaka, avec un focus sur la collaboration. Puis ma première expérience de Scrum Master, sans bien comprendre la portée de tout.
En 2009, je démarre le coaching agile sur des projets pilotes (20 à 40 jh par projet étalés à temps partiel sur 3-5 mois). Beaucoup de curiosité, d'énergie, des équipes qui cherchent à trouver une meilleure voie, à innover. Je dévore 1 ou 2 livres par mois.
En 2011, une longue histoire à temps plein auprès d'une grande entreprise industrielle du CAC40, au sein de l'équipe de transformation agile menée par Valtech. Un focus sur le time to market et la valeur livrée. Des échanges innombrables entre Coachs.
Rencontre d'autres Coachs Lyonnais indépendants, Romain Couturier et Alfred Almendra, avec des échanges riches et désintéressés.
En 2015, un retour à l'opérationnel (Scrum Master au sein d'une PME très innovante).
Et 2016, coaching sur des projets pilotes d'une autre entreprise industrielle du CAC40, en parallèle avec de la direction de projets.
Ce qui m'a attiré dans l'agilité, pourtant un peu en rupture, c'est la sensation qu'on allait enfin faire les choses de manière naturelle et saine. Les équipiers estiment, s'organisent, se répartissent les tâches. On mesure la vitesse. On priorise par la valeur. Etc... J'ai réalisé que mon malaise comme chef de projet classique était une sensation normale parce qu'on marchait sur la tête.
Ce qui compte, ce sont les personnes. Quand j'ai vu les Product Owners heureux du résultat (alors qu'ils avaient sacrifié une partie de leurs ambitions sur la base des retours pragmatiques) et les développeurs me dire qu'ils comprenaient enfin ce qu'ils faisaient, j'ai su que c'était la bonne voie.
Et puis l'amélioration continue : apprendre, réfléchir sur son apprentissage, apprendre à apprendre, collectivement mais individuellement. J'apprends perpétuellement le coaching agile.
InfoQ FR : Concrètement, comment se traduit votre métier au quotidien ? Qu'est-ce que vous faites ?
Pierre Fauvel : Coach'agile (comme dit Alexandre Boutin), c'est une mission auprès d'une équipe. Dans la réalisation de cette mission, plusieurs postures sont possibles, il n'y a pas que la posture de Coach en entreprise. Je pourrais résumer la répartition de mon temps/de mon énergie à :
- 10% d'évangélisation sur les principes, valeurs agiles
- 30% de mentoring sur les pratiques agiles
- 15% de coaching personnel
- 10% de coaching d'équipe
- 15% de leadership de ma part pour lever les freins
- 20% d'accompagnement en conduite de projet informatique
Mon activité peut se résumer à identifier les différentes responsabilités à assumer, les faire se répartir par les différents acteurs (Product Owner, Proxy, Scrum Master, équipiers, autres), m'assurer qu'ils sont bien au courant de ce qu'ils sont censés faire, qu'ils en assument la responsabilité, qu'ils le font et qu'ils le font bien et dans le bon esprit agile. Je m'assure qu'on pense à tout, et qu'on nomme bien l'éléphant qui est dans la pièce quand il y a un éléphant.
Je conseille avant le lancement, je lance (sur la méthodologie, sur la dynamique d'équipe, sur le périmètre fonctionnel avec Story Mapping & Impact Mapping), je co-anime ensuite, avec du coaching d'équipe ou de personne, parfois un peu d'outillage avec l'outil de pilotage du backlog ou avec le framework de BDD (plus comme demandeur que comme faiseur), je m'assure que l'amélioration continue s'instaure, puis enfin, si tout va bien je m'efface.
Je peux enfin dire bleu un jour et rouge le lendemain, et je serai aussi sincère et convaincu à chaque fois. Et j'aurai raison à chaque fois. C'est parfois plus la mise en mouvement qui compte, on ajustera la direction ensuite.
InfoQ FR : Quelles sont vos sources d’inspiration et de formation ?
Pierre Fauvel : Pour le contenu, l'agilité, au delà des classiques (Ken Schwaber, Mike Cohn) :
- Henrik Kniberg : ses e-books et ses videos, autant pour leur contenu que pour leur forme, sa façon d'expliquer
- Esther Derby : pour ses tweets lumineux sur le management
- Chris Matts, Olav Maassen & Chris Geary : j'ai adoré traduire leur livre Commitment. Novateur sur le contenu et sur la forme
- Gojko Adzic : j'ai trouvé Fifty Quick Ideas to Improve Your User Stories brillant, par sa concision et sa richesse
Pour Agile@Scale : LeSS (Craig Lahrman & Bas Vodde) correspond beaucoup mieux à l'idée que je me fais de passer à l'échelle.
Pour le coaching pur je suis fasciné par la psychothérapie : aider quelqu'un simplement en l'écoutant et en lui parlant.
- Paul Watzlawik, l'école de Palo-Alto, par exemple Le langage du changement
- Virginia Satir : The People Making
- Richard Bandler & John Grinder : The Structure of Magic I et II
D'autres ouvrages, dans le contexte de l'entreprise :
- Nancy Kline : Time to Think
- Christopher Avery : (un ouvrage à paraître) sur le Responsibility Process/Leadership Gift
- Marshall Rosenberg : La Communication non violente avec les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs)
- Gerard Collignon : La Process Com : Comment leur dire
Enfin :
- L'Aïkido : une métaphore physique, corporelle des interactions humaines. Apprendre à avoir mal un peu. Apprendre à se décrisper. Apprendre à accompagner l'énergie. Apprendre à chuter et se relever après la chute. Ne pas penser pendant l'action, agir. Penser après pour apprendre.
- Le Zen - l'attitude ou la posture Zen : Esprit Zen Esprit Neuf, de Shunryu Suzuki. Cette lecture a été pour moi le début d'un long chemin, une réflexion sur la réalité et la réalité de la réalité, sur ce qui est important, sur le stress. Et enfin cet éternel esprit de débutant.
InfoQ FR : Pour vous, quelle est la partie la plus intéressante de ce que vous faites ?
Pierre Fauvel : Découvrir un nouveau contexte, de nouvelles personnes et le mettre en mouvement :
- Découvrir comment les entreprises s'organisent et travaillent pour délivrer de la valeur.
- Initier aux valeurs, principes, pratiques agiles et voir la compréhension se faire jour dans le regard de mes interlocuteurs.
- Le difficile exercice d'improvisation quand mes coachés jouent au jeu des questions ou des objections, avant de comprendre et de se lancer.
- Donner un petit coup de pouce ou lever une alerte, juste quand c'est nécessaire.
- S'effacer enfin dès que les choses semblent avoir pris la bonne direction, et voir l'équipe autonome vivre sa vie avec succès.
Et, surtout, avant tout, les entretiens en tête à tête, pour faire prendre conscience à mon interlocuteur de ses responsabilités, des enjeux, de ses potentialités, le vrai coaching. En temps, cela représente une petite partie du temps de travail, mais c'est celle que je préfère, celle qui a l'impact le plus profond sur le système humain que je coache.
InfoQ FR : A l'inverse, qu'est-ce qui vous paraît compliqué dans la posture du coach ?
Pierre Fauvel : Sur mon blog, j'imaginais 8 questions définissant le style d'un Coach agile. Voici mes réponses, mon style :
- Quand j'ai été confronté à une vingtaine de projets chez Michelin, tous différents (de la BI, du progiciel, du programme, ... ), j'ai été amené à chaque fois à m'interroger sur ce qui doit être gardé tel quel (principe et pratique), et ce qui peut et doit être adapté (contextualized). Cela facilite l'adoption, un peu à la Kanban. L'inconvénient, c'est que cela n'a pas l'air agile. Pourtant, je pense que le résultat est meilleur et plus agile dans l'esprit.
- Je me plais à dire que je n'ai que peu d'ego, je n'aime pas trop la lumière, ce sont ceux qui font qu'il faut faire briller (invisible).
- Je crois aux hommes, aux interactions, plus qu'aux processus et aux outils. J'agis plus souvent sur les frictions et les émotions (therapist) que sur une optimisation mécanique des tâches.
- Je ne suis pas fan des jeux agiles (serious), à quelques exceptions près : les simulations (Scrum Lego City Game, par exemple) et les ateliers collaboratifs de créativité, qui produisent quelque chose.
- J'aime bien essayer des choses mais pas au détriment de mes équipes qui doivent délivrer de la valeur (proven).
- Je n'impose pas, j'entraîne, je convaincs, je propose. (persuading).
- J'aime intervenir dans la durée, même si mon temps de présence sur un projet diminue avec le temps (lasting).
- Je suis incapable de planifier à l'avance le contenu de mes interventions, même si j'ai les grandes lignes en tête. J'interviens à chaque fois sur le point qui me semble le plus gros et le plus urgent (reactive).
Ce qui est compliqué pour moi, c'est de m'écarter de ces dominantes, je ne me sens plus congruent.
Ainsi, je considère que les grandes transformations agiles ont été rattrapées par la pensée unique en gagnant en efficacité du changement, et en perdant en profondeur et en diversité :
- Les cabinets de conseil en organisation "classique", avec des démarches efficaces mais très directives.
- Les approches agile à l'échelle, notamment SAFe, très prescriptif.
Le rôle de Coach Agile dans ces environnements s'apparente plus à du conseil, diffuser et appliquer une méthode définie en central. J'ai pour ma part du mal à appliquer le même "template" d'agilité à chaque projet.
InfoQ FR : Quelles sont vos plus belles réussites en tant que coach ?
Pierre Fauvel : Mes plus belles réussites, ce sont les hommes et les femmes avec lesquels j'ai partagé quelques moments de vie professionnelle, et dont j'ai la prétention d'avoir aidé :
Des équipes soudées, créatives, en charge du projet qui repoussent les limites de ce que l'on imaginait possible. Faire un projet agile avec un progiciel par exemple. Boucler un projet très innovant en 3 mois. Les équipes qui se soudent, qui s'engagent, qui se soutiennent.
Des Product Owners et des sponsors satisfaits de la qualité et de la valeur livrée, alors que paradoxalement on n'a pas livré tout ce qu'ils ont demandé au début. Cette notion de valeur.
Et surtout des Scrum Master débutants qui se sont éveillés aux enjeux de leur rôle, qui s'éveillent au leadership, à la vision systémique, à la dynamique d'équipe.
InfoQ FR : Quels sont vos plus criants échecs ? Qu'en avez-vous appris ?
Pierre Fauvel : Mes plus criants échecs sont les hommes et les femmes de pouvoir, que je n'ai pas su gérer.
Une mission ou j'ai été "sorti" un peu tôt à mon goût par rapport à l'avancement du projet. J'ai appris qu'il faut montrer et justifier sa facturation, par des comptes rendus, des listes d'actions réalisées, bref de la "politique".
La relation avec le Scrum Master est critique aussi. Sur une mission, une partie de l'équipe était sous-traitante (de mon entreprise de l'époque) en mode forfait, du coup le Scrum Master visait surtout à sécuriser son périmètre d'engagement, et bloquait mes actions.
Idem pour la relation avec le Product Owner. Sur un projet, le Product Owner était très politique et calculateur, n'entendait pas que l'on limite les engagements sur la base de la vélocité, ...
InfoQ FR : Comment percevez-vous le déploiement de l'Agile dans les organisations françaises ?
Pierre Fauvel : L'agilité se galvaude, se dilue un peu, mais il y a quand même beaucoup moins de résistance à démarrer.
J'ai plutôt vu de grandes entreprises. Un élément clé dans le déploiement, c'est le moment où on a fait suffisamment de pilotes pour aller voir le DSI ou le directeur des études du groupe et obtenir la décision de déployer systématiquement (quitte à avoir une grille d'éligibilité).
J'ai l'impression que beaucoup d'entreprises ont une initiative en route (en plus ou moins bonne voie, notamment selon la culture de l'entreprise).
Par ailleurs, l'agilité est maintenant enseignée dans les écoles d'ingénieurs ou à la fac, tout le monde en a déjà entendu parler.
InfoQ FR : Comment analysez-vous le développement du coaching agile sur les dernières années ?
Pierre Fauvel : Je pense que le marché du coaching agile devient de plus en plus difficile : des clients qui investissent moins, de plus en plus de Coachs sur le marché et des missions moins longues.
Sur Lyon, il doit y avoir maintenant une vingtaine de Coachs, il y a 3 ans on devait être une demi douzaine.
Toutes les SSII ont compris leur intérêt, elles ont maintenant un ou plusieurs Coach agiles. Les problèmes des SSIIs avec l'agilité (engagement au forfait notamment) ne sont pas toujours résolus.
Avec la plus grande diffusion de l'agilité, je pense que les entreprises françaises ont toutes entendu parler d'agilité, ou connaissent toutes quelqu'un qui en a parlé. Mais je pense que le budget de coaching va diminuer (moins d'évangélisation nécessaire, meilleur niveau d'information initial).
Les clients vraiment innovants (ceux qui étaient prêts à investir) ont presque tous déjà étudié et testé la question. Restent donc les "retardataires". Et ceux là investiront moins, l'innovation n'est pas leur moteur principal.
Ce constat est pessimiste au sens où les autres besoins ne diminuent pas (coaching personnel, coaching projet, leadership sur l'adoption, ... ).
InfoQ FR : Si nos lecteurs veulent se lancer, par où leur conseilleriez-vous de commencer ?
- Faites-vous des expériences "opérationnelles" dans une équipe agile : Equipier, puis Scrum Master et/ou Product Owner.
- Soyez coaché au moins sur un projet.
- Intervenez comme Coach junior dans un équipe de Coachs au sein d'une "grosse" transformation et parlez aux autres Coachs.
- Suivez une formation de quelques jours au coaching agile. Véronique Messager en fait une très complète, et propose un livre sur le sujet, Coacher une équipe agile.
- Admettez que vous ne serez Coach que 20% du temps de mission.
- Lancez-vous seul et démarrez un petit pilote isolé.
- Prenez un superviseur ou un peer-viseur.
- Lisez un bouquin par mois la première année. Lisez notamment "Le métier de Coach" de François Délivré. Lisez à chaque fois le livre dont vous avez le besoin le plus immédiat, il m'arrive dans ce cas parfois de lire les ouvrages dans la journée.
- N'hésitez pas à poser des questions publiques sur twitter à vos idoles. J'ai eu des discussions fabuleuses avec Esther Derby, Yves Hanoule ou David J Anderson.
Enfin, une autre question se pose : que ferez-vous après "Coach agile". Quelle sera la suite de votre carrière ? Lean Senseï ? Coach de Startups ? Executive Coach ? Ces voies sont ardues, il faut une certaine notoriété, un carnet d'adresses et la capacité à l'enrichir, ... Une alternative à considérer est le retour à l'opérationnel.
InfoQ FR : Quelles sont les tendances qui vous ont étonné récemment et que vous pourriez partager avec nos lecteurs ?
Pierre Fauvel : Les types de personnalité, comme la process com. J'étais sceptique sur cette catégorisation en 6 types de personnalité, puis en approfondissant, j'y trouve une certaine sagesse. L'autre est différent, câblé différemment, parle un langage différent dans un paradigme différent et réagit différemment sous stress. Chaque Coach, chaque Scrum Master doit avoir ça en tête.
Je suis a priori réfractaire au "Solution Focus", même si je commence à voir en quoi ça peut marcher et être complémentaire d'une "Root Cause Analysis".
Les pratiques narratives en psychothérapie. J'écris de la fiction, c'est une activité importante pour moi, et cette approche me fait entrevoir un possible lien entre ce travail de fiction et l'action par la parole.