La voix du Coach
A l'heure du digital et de l'Agile à l'échelle de l'entreprise, les offres pour accompagner les équipes et organisations dans ces mutations se multiplient, et la transition reste toujours délicate et longue. Pour démêler les discours, InfoQ FR propose un panorama hétéroclite de ces accompagnants de l'agilité, souvent appelés "coachs", pour donner une voix à ce "métier", et aussi un visage, des pratiques, des modes d'agir dans les organisations.
Cette série propose la vision de coachs français sur leur définition du coaching, leur parcours, leurs réussites et échecs, ainsi que des conseils et éléments de réflexion actuels.
Thierry Conter
Thierry accompagne organisations, projets, équipes et personnes dans la mise en oeuvre de méthodes agiles.
InfoQ FR : Pourriez-vous vous présenter et expliquer à nos lecteurs votre définition de votre métier ?
Thierry Conter : Au sein du groupe industriel dont je suis salarié, j'aide les individus, équipes et organisations à s'approprier la culture agile. J’exerce tour à tour les rôles de coach qui questionne et laisse l’autre trouver ses propres solutions, de conseil qui montre et apporte de l’information, de facilitateur garant du cadre et du processus d’une réunion ou encore de formateur.
InfoQ FR : Pourriez-vous revenir sur votre parcours et ce qui vous a mené à votre pratique actuelle ?
Thierry Conter : Je crois que tout a commencé durant mes études d’ingénieur. D’abord, c’est à ce moment là que je découvre la programmation : une vraie révélation ! Tous les prétextes seront alors bons pour pouvoir coder. En marge de la partie scolaire, je goûte également au plaisir du travail en équipe à l’occasion de manifestations culturelles et sportives dans un mode que je pourrais qualifier aujourd’hui de totalement auto-organisé. Enfin pour compléter le tableau, c’est aussi à cette époque que je fais mes débuts sur un terrain de rugby.
Après deux ans de développement logiciel en région parisienne, je rejoins en 1990 une SSII Toulousaine où je profite de projets européens pour développer mes propres pratiques et outils de tests automatisés, de mesure de couverture de code ou encore de déploiement automatisé. C’est à cette époque que j’ai forgé mes convictions sur la nécessité de maîtriser en permanence la qualité de mon code.
Au milieu des années 90, chef d’un projet de 15 personnes très riche en IHMs et faiblement spécifié par le client, je ressens le besoin de tenir des réunions quotidiennes de synchronisation, de travailler par itération en soumettant le résultat au feedback de notre client et je passe une bonne partie de mon temps à raconter aux développeurs ma compréhension des besoins imprécis de notre client. Quand un peu plus tard, je lis sur Internet les premiers articles sur les méthodes dites « légères », je découvre que certaines de mes pratiques ont un nom.
En 2009, je démarre une formation de coach professionnel en parallèle de mes activités de spécialiste interne en ingénierie logicielle. Lors d’une visite à Grenoble, un de mes collègues me dit : « Je t’ai organisé un rendez-vous avec Alex. Vous avez surement des choses à échanger ».
De cet échange naîtra l’envie de me lancer dans le grand bain du coaching agile (merci Alex).
InfoQ FR : Concrètement, comment se traduit votre métier au quotidien ? Qu'est-ce que vous faites ?
Thierry Conter : Concrètement, je vérifie d’abord que ceux qui font appel à moi soient au clair sur le pourquoi ils souhaitent adopter une démarche agile. Je prends le temps de contractualiser sur les objectifs et veille au delà des équipes agiles à inclure dans la mission d’accompagnement les managers ou autres parties prenantes en lien direct avec les équipes.
J’interviens alors auprès des équipes et également en face à face auprès des personnes ayant des rôles clés (Scrum Master, Product Owner, Manager, Qualiticien, ...). Dans les deux cas, ces interventions ont lieu soit à leur demande soit de ma propre initiative pour les questionner, les éclairer ou les confronter, le tout avec bienveillance.
Au démarrage, je peux être plus prescriptif sur le cadre, notamment sur la mise en place d’une dynamique d’amélioration continue ou sur les pratiques de base de l’ingénierie logicielle. Très rapidement, je passe dans un mode de questionnement et de feedback tout en laissant l’entière responsabilité de la prise de décision aux personnes ou équipes accompagnées.
InfoQ FR : Quelles sont vos sources d’inspiration et de formation ?
Thierry Conter : En premier lieu, je viens chercher mes inspirations dans les communautés agiles françaises et internationales ou bien encore au sein de la communauté de pratiques que j’ai la chance d’animer dans mon entreprise.
J’aime à butiner les tweets et autres posts. Mais ce qui reste essentiel pour moi, c’est de pouvoir participer et contribuer à des rencontres comme le Scrum Day, Agile Grenoble, Agile Tour Bordeaux ou encore Agile Game France. A chaque fois, c’est l’opportunité de découvrir de nouvelles têtes, de nouveaux concepts, de pratiquer, de faire pratiquer, d’être dérangé dans mes croyances et de recueillir du feedback sur mes propres pratiques ou interrogations du moment.
J’aime également approfondir ces découvertes et nourrir mes besoins d’apprentissage par des lectures ou des formations. Par exemple, je me suis formé récemment à la facilitation graphique dont j’avais apprécié l’impact à plusieurs reprises dans la communauté agile (merci Romain ;-))
Je continue aussi à me nourrir dans les évènements organisés par les réseaux de coachs professionnels. C’est d’ailleurs pendant ma formation de coach que j’ai constitué ma boîte à outil de base avec l’Analyse Transactionnelle, la CNV (Communication Non Violente) et la Process Communication. Je l’ai ensuite enrichie au fil des ans avec des outils sur les dimensions équipe et organisation avec la théorie de l’élément humain, la systémique et l’appreciative inquiry.
InfoQ FR : Pour vous, quelle est la partie la plus intéressante de ce que vous faites ?
Thierry Conter : Ce que j’apprécie particulièrement, c’est de découvrir à chaque fois un nouveau contexte en termes de client, de domaine métier, d’organisation et surtout de rencontrer de nouvelles équipes et de nouvelles personnes.
Ce qui m’enthousiasme, c’est de percevoir les mises en mouvement, comme par exemple l’opposant farouche qui se mue au fil du temps en ambassadeur ou encore le manager qui fait abattre des cloisons pour permettre au équipes de disposer de salles à leur mesure.
InfoQ FR : A l'inverse, qu'est-ce qui vous paraît compliqué dans la posture du coach ?
Thierry Conter : Dans le coaching professionnel, une des conditions pour démarrer un accompagnement est d’avoir une demande claire de la part du client (la personne coachée). Dans le coaching agile, la demande initiale émane en règle générale d’un manager et il arrive que les équipes qui sont concernées au premier chef par le coaching ne soient pas volontaires pour passer à l’agile ou ne comprennent pas l’intérêt d’être accompagnées dans ce passage. Dans des cas extrêmes, j’ai préféré dire non.
Par ailleurs, chaque équipe étant différente et en mouvement dans le temps, je trouve que l’équilibre entre le cadre qui sécurise et la permission d’oser est parfois délicat à trouver.
InfoQ FR : Quelles sont vos plus belles réussites en tant que coach ?
Thierry Conter : J’intervenais depuis trois mois sur un projet avec 5 équipes agiles. Je reviens après deux semaines de congés et arrive en plein daily meeting d’une des équipes. Je décide de me faire discret à une dizaine de mètres du tableau. Là, j’ai tout d’un coup une impression de grande fluidité : dans le déplacement des post-it, dans la prise de parole, dans l’attention portée aux autres, dans la prise de décision. Pour le coach, c’est cadeau !
Je me souviens également aussi de ce manager avec lequel je me suis entretenu à plusieurs reprises sur sa propension à imposer des processus et outils à ses équipes pour qu’elles « augmentent plus rapidement leur vélocité » que je retrouve un an plus tard dans une posture authentique de servant leadership.
InfoQ FR : Quels sont vos plus criants échecs ? Qu'en avez-vous appris ?
Thierry Conter : Dans une de mes premières missions de coaching agile, j’interviens à la demande d’un manager transverse pour expérimenter Scrum pour la première fois dans son organisation dans le cadre du lancement d’un nouveau produit. L’équipe est constituée de deux sous-groupes issus de services différents. Je vois bien le peu d’implication des chefs de services lors de mes interventions ce que, dans mon enthousiasme prosélyte de l’époque, j’interprète comme une posture bienveillante de leur part visant à laisser de l’autonomie à l’équipe. Au bout de quatre itérations, nous sommes en juillet et l’équipe a trouvé un rythme de croisière. Quand je reviens fin septembre, je découvre que l’équipe a été renouvelée par moitié durant l’été, les personnes ayant été préemptées par leurs chefs de services pour d’autres projets. La motivation et la productivité obtenue par cette nouvelle équipe n’étant pas été jugées satisfaisantes, ces managers en concluent dans la foulée que Scrum ne fonctionne pas et décident de repasser dans un cycle en V.
De cette expérience, j’ai appris à mieux inclure toutes les parties prenantes dans la démarche d’accompagnement, en les impliquant dans le processus de contractualisation initial, en les aidant à trouver leur place dans la démarche, en les éclairant sur les conséquences potentielles de leurs décisions.
InfoQ FR : Comment percevez-vous le déploiement de l'Agile dans les organisations françaises ?
Thierry Conter : Cela recule, quel niveau de maturité ?
Aujourd’hui, je ne connais pas d’administration ou de grande entreprise qui n’ait pas expérimenté au moins une fois l’agile.
Au delà de cet effet de mode certain, avec son lot de récupérations et de marketing de circonstance, je perçois les signes de changement culturel plus profonds dans nos organisations. J’ai été témoin à plusieurs reprises de ce que je nomme le principe de contamination positive où les changements des attitudes et comportements d’équipes agiles finissent par induire des changements durables d’une partie de l’organisation dans laquelle elles évoluent.
InfoQ FR : Comment analysez-vous le développement du coaching agile sur les dernières années ?
Thierry Conter : Que ce soit par effet de mode ou réelle conviction, le nombre d’organisations souhaitant passer à l’agile a explosé ces dernières années. Beaucoup de ces organisations ont ressenti la nécessité d’être accompagnées sur ce chemin. Au delà de l’augmentation de la demande en coaching agile, j’y vois une démocratisation du coaching au service du plus grand nombre et plus seulement d’une élite dans nos organisations.
Je note que cet engouement pour le coaching n’est pas propre à l’agile. Le nombre de personnes formées au coaching professionnel étant lui aussi en constante augmentation que celles-ci exercent en tant que coach ou bien ramènent leurs compétences de coaching dans leur pratique professionnelle. Aujourd’hui, le mot clé coach ramène 27 000 personnes en France sur LinkedIn.
Pour crédibiliser leur métier et sécuriser leurs clients, les coachs professionnels se sont regroupés en associations (ICF, AEC, ...) et ont élaboré un code de déontologie. Aujourd’hui, l’absence d’un tel cadre dans le coaching agile permet à tous ceux qui le souhaitent de s’auto déclarer coach agile. Cette diversité de parcours, de points de vues et d’approches constitue une chance pour enrichir notre métier. Et en même temps, la question pour moi reste ouverte sur ce qui fonde la légitimité et la justesse de notre intervention.
InfoQ FR : Si nos lecteurs veulent se lancer, par où leur conseilleriez-vous de commencer ?
Thierry Conter : Je leur conseillerais de travailler sur les deux dimensions du métier coach et agile.
Pour l’agile, la pratique me semble essentielle pour acquérir l’esprit du manifeste agile et les fondamentaux des méthodes les plus pratiquées (Scrum, Kanban, XP), ainsi que pour goûter de l’intérieur la boucle vertueuse d’apprentissage individuel et collectif. Expérimenter le rôle de scrum master peut permettre de consolider ces compétences et de découvrir des techniques de facilitation.
Lire, participer à des conférences, échanger ou encore transmettre sont autant de moyens que je préconise pour cultiver son jardin agile.
Pour le coach, une des bases pour moi et d’apprendre à se connaître pour éviter de projeter ses propres envies, croyances ou peurs et développer une écoute de qualité. Sans aller directement sur une formation longue de coach professionnel, de nombreuses formations et ou stages existent sur le thème du développement personnel. Elles ont souvent l’avantage de fournir des grilles de lecture (parfaitement imparfaites) des comportements des personnes et équipes accompagnées.
Pour démarrer, avoir du feedback pour progresser dans sa pratique me semble fondamental. Ce feedback peut être obtenu au sein d’un groupe de co-développement professionnel, par un deuxième coach avec lequel on partage les interventions, ou encore par un coach plus expérimenté en supervision.
InfoQ FR : Quelles sont les tendances qui vous ont étonné récemment et que vous pourriez partager avec nos lecteurs ?\
Thierry Conter : Le déploiement des outils et méthodes issus du courant de la psychologie positive comme strength finder, solution focus, ou l’appreciative inquiry qui visent à amplifier ce qui fonctionne bien plutôt qu’à creuser ce qui fonctionne mal.
Ceux qui ont participé à la dernière édition d’Agile Grenoble ont eu l’occasion de goûter à cette nouvelle façon d’envisager le changement avec la keynote de Stéphane Bigeard sur les points forts et l’initiation à l’appreciative inquiry que j’avais le plaisir de coanimer avec Bernard Tollec.