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Développeur de jeux, Artiste envié ou Cousin attardé de l'IT ?

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1. Bonjour Laurent, peux-tu te présenter ?

Je suis développeur de jeux depuis un peu plus de 8 ans. Je fais des jeux de façon professionnelle. J'ai eu un parcours un peu étrange, sachant que je viens de la grosse industrie du jeu vidéo. J'ai travaillé pour de très très grosses sociétés comme Ubisoft et Take-Two. Je suis parti, j'ai découvert le monde de l'IT pendant 3 mois, et j'ai monté mon propre studio il y a 1 an qui s'appelle Monkey Moon et avec qui je vis des aventures incroyables.

   

2. De quoi viens-tu parler aujourd'hui à Mix-IT ?

Je viens parler du fait que je vois le jeu vidéo comme le cousin un peu débile, attardé de l'IT, sachant que l'on utilise des méthodes d'un autre âge, d'un autre temps, que personnellement j'envie à l'IT certaines techniques, certaines fa ons de travailler, mais qui sont malheureusement pour moi encore inapplicables au jeu vidéo parce que l'on a pas cette façon de travailler, cette idée des choses et de comment faire le boulot.

   

3. C'est la rencontre de deux univers que tu nous proposes - de venir présenter comment toi tu travailles, et comment tu imagines notre monde merveilleux du développeur.

C'est un peu çà, présenter les préjugés et les idées - vraies ou fausses - que j'ai sur le monde de l'IT, confrontés aux idées - vraies ou fausses - que le monde et l'IT en général ont sur le jeu vidéo.

   

4. Racontes-nous un peu ton histoire, comment as-tu voulu devenir développeur de jeux vidéo ?

J'ai la chance de faire partie de cette génération de joueurs qui a connu les premières consoles de salon, les premiers jeux vidéo grand public, et comme absolument tous mes amis à l'époque, on a découvert ce nouveau média là et on s'est tous dit "un jour, on fera du jeu vidéo", sans savoir ce que çà impliquait, ce que çà voulait dire, sans avoir une idée précise de comment on faisait un jeu. Je crois que j'ai été le plus têtu de tous, puisque je suis le seul qui a décidé vraiment de faire çà. Mais voilà, c'est le premier contact qui a été un choc incroyable et une découverte d'un univers qui aujourd'hui encore fonctionne et qui est maintenant devenu une industrie gigantesque.

   

5. Ils sont tous jaloux ?

Quand ils voient mon bulletin de paie, non. Ils sont jaloux du domaine, de la liberté du côté ultra rock'n roll qu'on peut avoir. Mais cela fait partie du fantasme du jeu vidéo, et pourtant ce n'est pas un domaine ultra sexy ou très simple dans lequel évoluer.

   

6. Sur quels jeux as-tu contribué ?

Quand j'étais chez Take-Two, on a travaillé sur une licence qui s'appelle "Top Spin", qui est un jeu de tennis (une grosse simulation). Plus récemment, j'ai travaillé pour Ubisoft sur un jeu qui va sortir qui s'appelle "The Crew". C'est un jeu de voitures incroyable qu'il faudra acheter. Et depuis que j'ai monté Monkey Moon, on a commencé par un petit jeu inutile, un puzzle game sur smartphone qui s'appelle HarshQuad, et là on est passé sur autre chose, quelque chose de bien plus sérieux, sur des plate-formes un peu plus intéressantes.

   

7. Selon ton expérience, c'est quoi la vie d'un jeu vidéo ? Comment on produit un jeu vidéo ?

Il y a deux écoles. Il y a ce qu'on appelle les triples A (AAA), les jeux à très très gros budget, à savoir beaucoup d'argent, 200 à 1 000 personnes, 5-8 ans de développement, pour ce qu'on appelle du coup des "blockbusters", cette industrie du jeu vidéo là qui fait aujourd'hui plus de bénéfices que l'industrie du cinéma mondiale. Et il y a le côté indépendant, où deux gars dans leur garage vont travailler pendant un an ou deux à faire un tout petit truc, une petite expérience de jeu, qui va se révéler être un Hit majeur, parce que les consciences et les joueurs ont évolué. On arrête de regarder le concours de celui qui affichera le plus de polygones et on commence à se rappeler qu'un jeu vidéo, c'est autre chose que çà. Donc, il y a quand même de la place pour ces petits indépendants là, pour faire des productions qui vont faire autre chose que d'afficher de la 3D massive et qui vont essayer d'apporter une expérience et du contenu.

   

8. Donc, des nouveaux types de "Success Story" ?

Exactement. Des "Super Meat Boy", des "Journey", des jeux qui la plupart du temps ont été faits par une ou deux personnes, et qui se retrouvent être des jeux qui sont vendus par millions. J'aime beaucoup cette phrase, quand je travaillais dans l'industrie, elle revenait souvent, "on ne souhaite à personne de vendre qu'un million de jeux". Parce que même à 70 € pièce, un million de jeux, c'est un échec financier pour un triple A. Quand on est une équipe de deux ou trois personnes, quand on vend un million de jeux, même à 1€, bah voilà, c'est pas le même rapport ! Et il y a ces deux industries commencent à cohabiter, et çà c'est grâce aux joueurs et à l'évolution des mentalités.

   

9. Comment ils construisent ces jeux là ? Il y a des moteurs, des librairies, des boîtes à outils ?

Pendant très longtemps, il fallait tout faire à la main. Une équipe arrivait, développait son moteur, faisait ces choses là. Aujourd'hui, çà arrive de moins en moins, et heureusement les technologies et les logiciels ont évolués. On se retrouve avec des softs comme Unity ou Real Engine qui permettent à des gens, après leur boulot, après leur vrai travail sérieux, de découvrir le développement de jeux vidéo, de commencer à faire des choses assez facilement, çà ne coûte pas cher et du coup les indépendants peuvent se servir de ces logiciels là. D'un point de vue plus "grosse industrie", soit on développe encore des moteurs à la main de A à Z pour des jeux spécifiques, soit on achète des moteurs existants qu'on adapte et qu'on réutilise.

   

10. On a un cycle de développement continu, tu parlais de 5/8 ans. Comment cela se passe au niveau du cycle de vie pour l'entreprise qui produit le jeu vidéo ?

Le chemin le plus commun, c'est - On a une idée, on en fait un prototype, avec du code complètement dégeulasse qu'on ne réutilisera jamais et qu'on souhaite ne plus jamais revoir, "promis juré !" - juste pour montrer une intention de jeu. Une fois que ce prototype là est validé par un éditeur qui finance le développement complet, on repart from scratch, on choisit les technos, les plate-formes, les gens, les équipes avec qui on va travailler, et çà se fait étape par étape. La principale différence entre le monde merveilleux de l'IT et du jeu vidéo, c'est qu'on a pas de cahier des charges, on a une envie, on sait à peu près ce qu'on veut faire : on veut faire un jeu de fusées qui se passe dans l'espace. Mais entre les idées incroyables qu'on a vendu à l'éditeur au tout début, et les 5 ans de développement, on se retrouve généralement avec deux jeux radicalement différents, avec seul point commun, çà reste un jeu de fusées. Mais l'histoire, les techniques graphiques, la façon de jouer, le contenu, les personnages, tout çà change parce que çà évolue, et parce que je pense qu'on est une des industries qui est la plus soumise aux médias extérieurs et pas une volonté directrice d'un client qui pousse les choses fermement dès le début.

   

11. Victime des effets de mode aussi ?

Il y a un peu de çà, souvent en fait. On baigne tous avec les mêmes références, internet, les médias, le cinéma. Du coup, on va faire un jeu médiéval fantastique avec des chevaliers et tout çà, et deux ans après le début de la production, il y a Game of thrones qui sort et qui devient un carton incroyable au niveau des séries, et on se dit "c'est çà, il nous faut des dragons, çà va être génial !", et on se retrouve à modifier complètement le jeu et le concept de base parce que soudainement l'attention du public s'est portée sur un type bien précis. Rajouter des dragons, c'est énormément de travail, ce sont des équipes complètes qui travaillent, on n'est pas que des programmeurs, on a des graphistes, des game designers, des gens du market (à quoi ils servent déjà ?) ... Chaque mini-chantier est pharaonique.

   

12. 500 développeurs, en quelle taille d'équipe cela s'organise ?

De mon expérience, c'est une dizaine de personnes maximum par pôle, à savoir en grands groupes : "Intelligence Artificielle", "Game Play", "Rendu", "Network". Pour "Outils", généralement plus de gens car c'est plus vaste. Donc 500 développeurs, cela fait à peu près 50 petites équipes à piloter, avec une envie et un besoin de les piloter, mais jusque là, de ce que j'en ai vu, pas une très bonne façon de les piloter.

   

13. Et en ce qui concerne le profil du développeur de jeu vidéo en France ?

Le développeur français de jeux vidéo est généralement jeune, naïf, n'a pas trop besoin d'argent et est passionné, et c'est surtout çà qu'il reste, c'est la vraie passion. Aujourd'hui, ce n'est pas forcément très simple d'être développeur de jeux en France parce qu'on a cette particularité de voir le jeu vidéo comme un art, on a cette prétention de french touch, il faut absolument s'élever au niveau de cet art là, et du coup il faut des gens passionnés, et on va faire travailler des gens passionnés. Comme faire des jeux vidéo coûte très cher, on ne peut pas se permettre de dépenser trop d'argent sur certaines compétences. Je fais quelques conférences et je rencontre souvent des personnes qui viennent d'autres milieux de l'informatique, et dans les jeux vidéo, j'ai eu l'occasion de rencontrer les gens les plus pointus et pertinents sur des technologies ultra précises qui étaient peu valorisés parce qu'ils faisaient du jeu vidéo. Aujourd'hui, en France, on voit le jeu vidéo encore comme une chose pour les enfants, c'est pas un média à part entière, ce n'est pas une vraie façon de faire les choses. Le plus gros exemple, c'est entre quelqu'un qui va démarrer sa start-up pour faire des choses bien, et un gars qui démarre sa boîte pour révolutionner le jeu vidéo - quand on se pointe chez un banquier, il y en a un qui est bien plus crédible que l'autre. Parce qu'en France, on pense encore que le jeu vidéo, ce n'est pas un métier sérieux. Tout le monde sait que çà génère des bénéfices énormes, que c'est une vraie industrie, mais on a encore cette image en arrière plan - Ce ne sont pas des gens sérieux, ils font des courses de chaises à roulettes dans les couloirs et ils prennent beaucoup de drogue - Ce ne sont que des préjugés !

   

14. Qu'en est-il du sujet des Royalty pour les développeurs ?

Il y a certaines boites qui commencent à mettre çà en place, c'est très bien, c'est une bonne volonté, l'idée est que si le jeu est un hit massif, le développeur qui aura contribué à ce jeu là aura une part des bénéfices (ridicule par rapport à l'ensemble des bénfices, mais quand même une royalty). C'est quelque chose d'intéressant, le problème c'est que le cycle normal d'un studio, une fois qu'on sort de 5 ans de production d'un jeu de poney, on va nous demander de faire le jeu de poney 2. Et après 5 ans de frustration, de difficultés de programmation et de management, on est souvent sur les genoux et on a envie de voir autre chose. c'est là où je rejoins "le développeur français est jeune", quand on est jeune on a envie d'emmagasiner des choses et de voir des jeux et des licences qu'on aime, on a pas envie de refaire un jeu de poney, du coup on part de la boite. Les stats, c'est 60-70% des effectifs d'une boite en fin de production démissionnent pour aller voir ailleurs. Et les royalty restent au niveau de la boite.

   

15. Le côté artistique, c'est la théorie ?

Oui, il y a ce côté jongleur/cracheur de feu qui reste dans les esprits, parce qu'on est censé être un média jeune et rock'n roll, mais derrière il y a tellement de techniques. C'est ce qui me plaît vraiment dans le jeu vidéo, c'est qu'on est un des seuls corps de l'informatique à intégrer quasiment tous les métiers. On a du réseau, du rendu, de l'embarqué, des outils, du web services avec les outils connectés, et on est un des seuls métiers qui propose çà. C'est ultra pointu et très sérieux.

   

16. Beaucoup de maths ?

Cela dépend. Personnellement, je suis très mauvais en maths. Cela fait partie des préjugés - Il faut être ingénieur russe à envoyer des fusées dans l'espace pour faire du jeu vidéo - Le jeu vidéo est vraiment accessible, notamment grâce à l'évolution des outils. Aujourd'hui, n'importe quel programmeur peut apprendre à faire du jeu, et n'importe qui, qui n'est pas programmeur, peut commencer à faire du jeu. Et çà, je vais le prouver demain lors d'une formation sur Unity 3D qui est un moteur de jeu complet, et on va développer en deux heures un Flappy Bird (Workshop qui s'est tenu le 30 avril). C'est juste pour montrer aux gens qu'il ne faut pas plus de deux heures pour faire un Flappy Bird (qui finalement est ridicule, il n'y a pas grand chose dedans), et c'est pour prouver à l'ensemble des développeurs Web IT, qui considèrent encore que, même s'ils sont ultra pertinents dans leur domaine et dans leur langage, que faire un jeu c'est compliqué, qu'il faut des connaissances qu'ils n'ont pas forcément. Je vais juste leur montrer que faire un jeu c'est très simple. C'est aussi ludique, un des meilleurs aspects de notre boulot est que lorsque l'on fait quelque chose, on peut jouer avec après.

   

17. Quelle est ta vision en ce qui concerne "Apprendre par le jeu", l'influence du jeu dans la vie ?

C'est ce qu'on appelle la "gamification" : intégrer des mécaniques de jeux dans la vie en général pour pousser l'utilisateur, le client, le joueur, à faire des choses qu'il ne ferait pas forcément naturellement. Cela a commencé à me marquer vraiment quand je devais avoir 6 ou 7 ans, quand dans la cour de récré, les gamins avaient des portes-clefs avec une queue de tigre, qu'on avait en station service quand on allait plusieurs fois faire son plein. Cela faisait vraiment fureur et tout le monde se battait pour forcer ses parents à aller dans cette station service là. J'ai trouvé çà tellement intéressant d'avoir ce côté action-réaction qui pousse les gens à revenir. Je me rends compte aujourd'hui que la gamification est absolument partout, ce que les gens ne réalisent pas c'est que quand ils ont leur carte de supermarché préféré et qu'ils vont uniquement dans ce supermarché là parce qu'ils ont une carte à points et qu'ils économisent des points, c'est du jeu. Stack Overflow à monté un business entier sur cette mécanique de jeu, sur pousser les gens à répondre et à valoriser leurs réponses en leur donnant un badge virtuel. L'égo de l'être humain est fait pour cette compétition et cette reconnaissance. Du coup, la première des règles en game design s'appelle le "meaning full play", à savoir pour chaque action il faut une réaction. Quand on appuie sur le bouton sauter en jouant à Mario, Mario va sauter, il va y avoir le son du saut, on sait ce qui va se produire. On sait qu'en appuyant sur un bouton, il va se produire quelque chose. Et là, c'est exactement pareil, et on peut pousser les gens à revenir en les valorisant, le système de Stack Overflow est fait pour çà. On peut les aider à apprendre des choses qui sont ridiculement difficiles à apprendre de base, mais ils vont trouver çà tellement fun qu'ils vont revenir. Il y a des jeux qui permettent d'apprendre à jouer des instruments qui sont horriblement difficiles, comme la guitare. Je ne suis pas très doué avec mes doights mais je suis en train d'apprendre à jouer de la guitare aujourd'hui grâce à un jeu vidéo et je suis content de le faire parce que je suis valorisé et parce que c'est une autre méthode d'apprentissage que le solfège très carré.

   

18. Tout ce sérieux, c'est ce qu'on appelle le "serious gaming" ?

Oui, on appelle çà maintenant le "serious gaming". C'est une industrie incroyablement énorme car la plupart des sociétés veulent apprendre à leurs maîtres d'oeuvres comment parler aux chefs de chantiers ou aux gens qui travaillent dessus, leurs caristes à se déplacer ou en cas d'urgence comment sauver des vies et réanimer quelqu'un, et tout çà peut passer par le jeu. Beaucoup de sociétés de l'IT se tournent vers le serious gaming parce qu'il y a de la vraie demande.

   

19. Tu es en train de nous dire qu'on peut apprendre à coder en jouant ?

Absolument (après c'est du javascript donc chacun sa vision des choses). Il y a un projet qui s'appelle "Code Hero" qui est fait sous Unity - un jeu de shoot avec un canon à code - on se retrouve en vue première personne à se déplacer dans un monde en 3D. Par exemple, on se retrouve face à un gap, il y a une plate-forme en face qui devrait s'avancer mais qui ne s'avance pas, il suffit de tirer dessus cette plate-forme là, cela lui ajoute un comportement et on peut directement rentrer du code en lui disant "je veux que tu te déplaces jusqu'à moi pour pouvoir aller au niveau d'après". Ce genre de projet est super intéressant car on apprend à faire des jeux en jouant et c'est le côté "Inception" assez rigolo.

   

20. Est-ce que tu esssaies de promouvoir cela ?

J'ai aidé à fonder une association Lyonnaise qui s'appelle Game Dev Party ayant pour but de démystifier le jeu vidéo et de montrer aux gens que le jeu vidéo est accessible, ainsi que de partager avec le grand public notre vision du jeu. Le jeu vidéo, ce n'est pas que des bains de sang et des massacres, c'est aussi des choses très poussées, des choses plus politiques et de façon détournée. Du coup, on organise des game jam, où on prend 50 personnes, on les met dans la même pièce, on secoue très fort pendant 48 heures, et au bout de 48 heures il y a 8 jeux qui sortent avec des équipes qui se composent le soir même. Ce qui m'a beaucoup marqué dans les premières jam, c'est de rencontrer énormément de gens de l'IT, très pertinents dans ce qu'ils faisaient, très pointus et très bons dans leur domaine, qui étaient persuadés qu"ils étaient incapables de faire des jeux. Et le but c'est çà, de montrer aux gens que le jeu vidéo est accessible, qu'on peut s'amuser, qu'on peut changer les choses et faire des choses cool avec les outils actuels.

10 juil. 2014

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