L'Agile est partout, des équipes de développement à la production, de l'opérationnel marketing à la fonction support. Depuis quelques années, l'Agile a même investi des lieux plus exotiques comme l'école ou la Famille. Jérôme Carfantan s'est exprimé à Agile France 2016 sur la manière dont il a utilisé les pratiques et principes Agiles dans son économie domestique.
InfoQ FR a échangé avec Jérôme sur son parcours agile, le glissement vers de l'agile domestique, les usages et l'évolution des pratiques à la maison, les difficultés rencontrées et la manière de les surmonter.
InfoQ FR : Merci Jérôme d'échanger avec nous. Pourriez-vous vous présenter ?
Jérôme Carfantan : Je suis marié et père d'une famille de 3 enfants, ça a son importance car dans ma présentation à Agile France, je parle finalement beaucoup de mes enfants. Sinon, je suis coach Agile chez SOAT depuis bientôt 2 ans. Avant d'être coach, j'ai évolué pendant plus de 15 ans dans différents rôles opérationnels sur des projets IT.
N'ayant pas suivi un enseignement informatique, j’ai dû apprendre mon métier de façon empirique, en commençant par être développeur dans des environnements techniques très variés. D’ailleurs, je pense que le fait de ne pas avoir été formaté par un enseignement en ingénierie logicielle ou en gestion des systèmes d’information m'a permis de m'ouvrir à d’autres perspectives. En effet, quand je suis devenu chef de projet "traditionnel", je me suis retrouvé confronté à de nombreuses aberrations. Par exemple, je ne comprenais pas pourquoi il y avait un si fort cloisonnement entre les experts métiers et les experts techniques. Ces derniers n'arrivaient pas à se comprendre, et pour couronner le tout, ils n'avaient le droit d'échanger que par l’intermédiaire de documentations indigestes. La découverte des méthodes agiles m’a finalement redonné la motivation pour accomplir mon métier en remettant « ceux qui font » au centre des décisions.
InfoQ FR : Vous êtes praticien de l'Agile, quel est votre parcours dans ce monde ?
Jérôme Carfantan : En 2006, j'entends pour la première fois le mot agile dans le contexte du développement logiciel. Ce mot est sorti de la bouche d'un chef de projet côté client alors que j’étais encore développeur. Son insistance à vouloir apporter plus d’agilité à notre travail au quotidien m’a incité à faire quelques recherches sur le sujet. Je suis alors tombé sur la fiche Wikipedia de Scrum. Je fus immédiatement séduit.
En 2009, je m’inscris à une formation ScrumMaster avec Jeff Sutherland dans le but d'endosser ce rôle. Mais l'agilité étant loin d'être aussi présente qu'aujourd'hui, je dus attendre 2011 pour rejoindre mon premier projet Scrum. En parallèle, je me suis impliqué dans l'animation d'une communauté agile dans la société dans laquelle j'évoluais. Par la suite, j'ai été pendant plus de deux ans Manager agile d'une équipe délivrant un des plus gros produits européen mobile pour iPad ; l’application en question étant à destination des conducteurs de train opérant sur le réseau ferré français. Ce projet a été un vrai succès. Nous avons d'ailleurs pu mesurer ce succès grâce aux retours des utilisateurs qui se sont avérés très positifs.
En 2014, j'ai rejoint SOAT pour endosser le rôle de coach agile afin d’accompagner nos clients dans leur transformation agile. C'est un rôle très enrichissant qui implique d'être en veille constante sur de nombreux sujets liés à l'agilité. Les valeurs d'échange, de partage et d'innovation mises en avant par SOAT offrent un vrai avantage pour endosser pleinement mon rôle de coach. Par exemple, cette année j’ai pu trouver le temps de m’impliquer dans l'organisation de notre propre événement agile : le SOAT Agile Day.
Pour finir, depuis quelques mois je contribue à l'animation d'une formation en ligne d'initiation à l'agilité au format SPOC (Small Private Online Course). Cette formation a été créée par Florent Lothon, l'auteur du site l’Agiliste.fr. Je l'aide à animer le forum et à corriger les exercices des participants sur la plateforme. Je connais Florent depuis plus de dix ans. Nous nous sommes rencontrés alors que nous étions tous les deux développeurs sur le même projet. Par la suite, il m'a fait découvrir l'agilité par la pratique sur des projets d'envergure. Quand il m'a proposé de retravailler avec lui sur son projet de formation en ligne, je n'ai pas hésité une seconde.
InfoQ FR : Vous travaillez toute la journée avec des principes et des outils, pourquoi avez-vous senti le besoin de les utiliser aussi chez vous ?
Jérôme Carfantan : Ça n'est pas venu naturellement. En effet, étant personnellement convaincu qu'il est indispensable de trouver un bon équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle, le fait d'apporter à la maison des techniques ou des outils du travail me semblait totalement inapproprié. Par ailleurs, dans mon activité de veille sur l'agilité, j'étais déjà tombé sur des articles de familles qui appliquaient Scrum à la maison. Je trouvais ces initiatives à la fois simplistes et farfelues.
Avec le recul, ma volonté de modifier mon approche avec l'éducation de mes enfants est venue progressivement. A l'origine, mes premières expérimentations sont venues d'un sentiment d'urgence. En effet, Quand on élève trois enfants en bas âge (un garçon de 5 ans et deux jumeaux de 3 ans), on est confronté constamment à des situations d'apprentissage qui peuvent être très anxiogènes pour les parents. Par exemple, l'apprentissage du "non" ou bien l'apprentissage de la propreté. C'est dans ces situations difficiles que j'ai cherché à appliquer des techniques « différentes » pour aider mes enfants à surmonter certaines épreuves parfois compliquées. Finalement, je n'ai pas cherché à appliquer directement l'agilité avec mes enfants. D’ailleurs, je n'ai fait le lien qu'après coup. Je me suis rendu compte que ce qui fonctionnait avec mes enfants s’apparentait aux pratiques agiles mises en places dans les équipes que j'accompagnais.
InfoQ FR : Concrètement, pourriez-vous revenir sur les usages agiles que vous avez ?
Jérôme Carfantan : Ceux qui pensent que l'agilité se résume à coller des Post-it aux murs se trompent. Chez moi, vous ne verrez aucun Post-it. Honnêtement, vous trouvez ça beau vous ? Dans un openspace, ça passe encore, mais à la maison, pas question. Je ne suis pas un spécialiste de la décoration intérieure, mais il y'a des limites à ne pas dépasser. Et cette limite s'arrête au pas de ma porte. Donc pour conserver l'intégrité de mon habitat sans faire de concession sur l'esthétique, j'ai dû rivaliser d'imagination.
Par exemple, dans ma cuisine j'ai installé un tableau magnétique sur lequel j'ai collé des magnets représentant des activités de la vie quotidienne, comme « aller aux toilettes », « manger » ou encore « brosser les dents ». Et, chacun de mes enfants possède son propre mini-cadre photo magnétique avec sa photo dedans. Ce tableau est très utile lors des phases de préparation du matin ou du soir. De façon générale, je vais essayer d'utiliser la mécanique du jeu pour aider mes enfants à surmonter une épreuve d'apprentissage. De plus, nous essayons de leur réserver beaucoup de temps pour leur raconter des histoires.
Comme tout parent, j'observe beaucoup mes enfants. En les regardant, j'ai fini par m'apercevoir qu'ils étaient agiles par nature. En effet, une des caractéristiques fondamentales de l'agilité est le droit à l'erreur. Or, nos enfants se trompent en permanence, c'est leur meilleure arme pour apprendre. Dans les équipes agiles, on passe notre temps à expliquer que le droit à l'erreur offre une vraie opportunité d'apprentissage, c'est une porte d'entrée vers la créativité et l'innovation. Chez un enfant ce mode d'apprentissage est incontournable.
La ludification, le storytelling ou encore le droit à l'erreur sont des ingrédients essentiels qu'on retrouve dans les équipes agiles. Mais je n'en dis pas plus, je ne voudrais pas dévoiler ma présentation.
InfoQ FR : Accompagner ses enfants est le rôle des parents. Quelles difficultés avez-vous rencontrées en tant que "parent agile" et comment avez-vous fait pour les dépasser ?
Jérôme Carfantan : Je ne me considère pas comme un "parent agile" mais plutôt comme un parent en quête de solutions pour atteindre mon objectif : Diminuer le stress à la maison et rendre ma famille plus heureuse. Ma principale difficulté réside dans le fait que mes enfants sont trois. Chacun d'eux va réagir différemment à ce que je leur propose. Par exemple, pour en revenir au tableau magnétique, pendant une période, un des deux jumeaux s'amusait à déplacer les photos de ses frères. Ça le faisait beaucoup rire.
Pour surmonter cela, il faut faire preuve d'imagination, s'adapter tout le temps et essayer de ne pas s'énerver. Mais c'est parfois fatiguant. D'autant plus que nos jumeaux sont à un âge difficile. On a souvent l'impression de n'avoir aucune prise sur eux.
InfoQ FR : Si les lecteurs veulent aller plus loin, que leur conseillez-vous de lire/écouter/regarder ?
Jérôme Carfantan : S'il n'y a qu'une seule chose à regarder, c'est la vidéo TED de Bruce Feiler, dont je parle dans ma présentation à Agile France. Après, pour aller plus loin, il y a son livre "The Secrets of Happy Families" qui parle finalement très peu d'agilité. En effet, Bruce Feiler est un journaliste du New York Times dont le thème de prédilection est : La famille. Pour écrire son livre, il a rencontré de nombreuses familles qui semblaient heureuses vu de l'extérieur. Et parmi ces familles, il nous parle de sa rencontre avec la famille Star, une des nombreuses familles ayant partagé son expérience de "famille agile" sur leur blog. Mais c'est finalement qu'une petite partie du livre. Il a fait beaucoup d'autres rencontres très inspirantes pour nous aider à rendre nos familles plus heureuses.
C'est le seul livre que je conseille sur le sujet. En effet, j'ai plutôt été déçu des articles ou des livres parlant de l'application de Scrum à la maison. Je reste sur ma première impression, concernant ces retours d'expériences.
Finalement, mon objectif n'est pas de rendre ma famille plus agile mais de la rendre plus heureuse. Et pour l’atteindre, tous les moyens sont bons.